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diversité est impossible. De là il suit que, même dans le domaine de l’expérience, aucun objet ne peut avoir avoir deux qualités différentes au même point de vue et en même temps. Cette notion est le fondement de la règle générale des jugements logiques, qui se formule ainsi : « Deux affirmations différentes sur le même sujet et sous le même rapport (comme A est rond et A est cubique) ne peuvent pas être vraies toutes deux en même temps. » Là est la source du conflit des affirmations et de la négation logique qui en découle. On en fait sortir aussi la formule ordinaire du principe de contradiction : « L’affirmation et la négation d’une même chose ne peuvent pas être vraies en même temps. »

Ces deux dernières formules, exprimant la norme dans son application aux objets de l’expérience, contiennent la clause du temps. Cette clause est complètement étrangère à la norme prise en elle-même. Nous ne savons rien a priori du temps, du changement et de la succession. Un objet absolu et identique avec lui-même, comme le conçoit notre pensée, est entièrement en dehors du temps et soustrait à tout changement : ce qui est identique avec soi-même ne peut jamais devenir différent de soi-même[1]. Au contraire, les objets de l’expérience sont soumis à un changement perpétuel, et leur persistance même est une renaissance de tous les moments. Un objet de l’expérience peut donc avoir deux qualités différentes sous le même rapport successivement : un objet rond peut devenir cubique, un homme ignorant peut devenir savant. La norme de la pensée dans son application à l’expérience doit donc contenir la clause du temps.

Il est aisé maintenant de voir comment de la norme suprême résultent deux autres principes de la pensée qui communiquent une certitude rationnelle, et, partant, un caractère vraiment scientifique aux généralisations de la science : le principe de causalité et celui de l’invariabilité de la substance.

Ces deux principes expriment une seule et même idée, à savoir que le changement et l’existence absolue s’excluent mutuellement, sont incompatibles l’un avec l’autre. Car, suivant le principe de l’invariabilité de la substance : la substance, c’est-à-dire l’absolu, est, en soi, invariable ; et, suivant le principe de causalité : aucun changement n’est absolu, ne peut se produire sans cause. La norme

  1. Si une chose change, si elle est d’abord A et ensuite B, elle n’est en réalité ni A ni B. Car si elle était réellement A, elle ne pourrait jamais cesser d’être A, c’est-à-dire elle-mène, et, si elle était réellement B, elle ne pourrait pas commencer d’être B, autrement elle serait déjà avant d’être elle-même, ce qui est absurde. Une chose qui change n’a donc pas de nature qui lui soit véritablement propre.