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de notre être en sujet et en objet, incompatible avec l’unité et ia simplicité de la substance, ne serait ni nécessaire ni possible. La conscience de soi est donc la preuve d’une existence anormale fondée sur une illusion. D’un autre côté, comme la réalité physique n’est pas une réalité vraie ou absolue, les lois physiques n’ont pas de validité absolue. Il est alors possible de concevoir que notre expérience nous révèle l’action de causes et de lois, non physiques de leur nature. Seuls, en effet, de tous les êtres vivants, nous avons une conscience plus ou moins claire de l’anomalie qui réside dans la nature physique et d’une nature supérieure des choses qui se manifeste dans les normes morales et logiques. En pénétrant plus ou moins la nature véritable de l’anormal, nous nous sentons obligés à le nier, à le combattre, et cette obligation est une source d’actes qui ne sont pas conformes aux lois physiques de la pensée et de la volonté. Ces lois physiques en effet (par exemple celles de l’association des idées, des instincts, des préférences, etc.) tendent, au contraire, à affaiblir les effets de l’obligation dont nous venons de parler.

Sans doute, si l’on se met uniquement au point de vue de la nature physique, l’enchaînement des phénomènes ne semble laisser aucune prise à l’action de causes non physiques ; la nécessité des événements paraît absolue. C’est ainsi que la science moderne, qui ne considère que la nature physique, est conséquente, en niant la liberté. Mais si l’on se place au point de vue de la nature morale, on voit que rien d’anormal, ni l’injustice, ni l’erreur, ni l’illusion qui fait le monde extérieur et notre propre moi, ne doit ni ne peut avoir un pouvoir absolu sur l’homme, parce que l’anormal est absolument condamnable et n’a pas, à proprement parler, le droit d’exister. On comprend alors la responsabilité. Car de ces deux points de vue opposés, le point de vue de la conscience morale est le seul où l’on puisse se placer en toute sûreté ; les lois physiques, qui sont les lois d’une réalité fondée sur une illusion, n’ont pas, comme nous l’avons vu, de validité absolue. La conscience de l’obligation morale est donc non seulement un motif qui produit des effets réels, contrairement à l’action des causes, mais nous reconnaissons clairement, en outre, qu’elle doit être le motif dominant, la cause prépondérante, parce que seule elle possède le droit suprême de se faire valoir. Aussi sommes-nous responsables de nos actions et ne pouvons-nous pas justifier ce que nous faisons de mal en invoquant la prépondérance des causes physiques qui nous l’ont fait faire.

Pour définir exactement la liberté, que suppose la responsabilité, il faut la prendre dans l’acception ordinaire de son nom. Or on entend ordinairement par le mot liberté l’absence d’entraves et de contrainte.