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PENJON.une forme nouvelle de criticisme

On dit qu’un homme est libre quand il n’est ni empêché de faire ce qu’il veut, ni forcé de faire ce qu’il ne veut pas. La liberté est donc la faculté de se déterminer soi-même, indépendamment de toute influence étrangère. L’homme a-t-il cette faculté, et dans quel sens faut-il entendre cette liberté de la volonté ?

La volonté étant tout intérieure, il semble d’abord évident qu’elle est libre. Mais si l’on songe que les impulsions intérieures sont quelquefois opposées les unes aux autres, on doit se demander comment se décide la victoire d’un motif sur un autre, et l’on comprend que si c’est simplement par la plus grande intensité ou force physique du motif prévalant, alors tout se passe dans l’homme suivant les mêmes lois que dans la nature animale. Il ne suffit donc pas, pour être libre, d’être déterminé par des motifs en apparence intérieurs. En fait, ce qui a le plus contribué à obscurcir le problème de la liberté, c’est que l’homme n’est pas libre originairement, c’est-à-dire dans sa nature physique. S’il était libre originairement, il n’y aurait pas de doute sur la réalité de sa liberté. Mais il a son origine dans le temps, et tout ce qui naît dans le temps est produit par des causes antécédentes. Comme produits de causes différentes de nous-mêmes, nous n’avons pas de nature qui nous soit propre, nous sommes tout à fait dénués de liberté, c’est-à-dire de la faculté de nous déterminer nous-mêmes. Mais nous avons aujourd’hui conscience de notre responsabilité morale. Il y a là une contradiction dont il faut essayer de concilier les termes.

Supposer, comme on l’a fait, une liberté absolue dans l’homme et tout à fait séparée de sa nature physique, soumise à des lois physiques, c’est supposer qu’il peut se déterminer sans cause, c’est-à-dire être déterminé par le néant ou le hasard, c’est parler pour ne rien dire. De plus, c’est mal comprendre le problème que nous nous proposons. Ce problème est celui de l’opposition des lois morales et des loi, physiques de la volonté, et du droit de la loi morale à primer toutes les lois physiques. La prétendue faculté de se déterminer sans cause n’aurait aucune valeur morale. Disons-nous que c’est la faculté de se porter indistinctement au bien et au mal ! Expliquerons-nous par là l’existence du mal moral dans le monde ? Ce serait, non seulement employer des mots vides de sens (et on sait cependant si cette phraséologie en a imposé et en impose encore !), mais aussi fausser la notion de la liberté morale. Si l’homme, en effet, peut se porter indistinctement au mal comme au bien, il perd aussitôt sa qualité d’être moral ; car cette qualité repose uniquement sur la conscience que le bien est seul conforme à sa nature normale et que le mal y est, au contraire, opposé. Il y a donc une contradiction logique à