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FONSEGRIVE.conséquences sociales du libre arbitre

sibilité, nous la considérons en fonction de l’intelligence, voici ce qui va en résulter : ou nous adopterons les théories empiriques d’après lesquelles l’intelligence humaine n’est qu’un degré plus élevé de l’intelligence animale, ou nous adopterons les théories nativistes et nous regarderons l’intelligence humaine comme un fait absolument sans analogue dans la nature.

Dans le premier cas, on ne voit pas trop comment pourrait se formuler une doctrine absolue du droit ; la valeur intellectuelle varie d’homme à homme et, selon une comparaison chère à l’école, il y a moins de distance entre un singe et un Papou qu’entre un Papou et Newton. Si donc la valeur est établie d’après le degré d’intelligence, un homme supérieur aura des droits bien plus grands qu’un homme d’une intelligence moyenne, et celui-ci des droits plus grands qu’un homme d’une intelligence inférieure. L’intelligence doit être respectée dans la mesure même où elle existe ; par suite il devra s’établir une hiérarchie sociale où les plus intelligents domineront les moins intelligents et les feront servir à leurs fins absolument comme l’homme, sans nul scrupule, s’asservit les animaux moins intelligents que lui. Si un Papou a le droit de se servir d’un singe ou d’un bœuf, pourquoi Newton n’aurait-il pas le droit de se servir d’un Papou ? — Il ne paraît pas qu’avec ce système de déterminisme on puisse faire reposer aucun droit certain sur la considération de l’intelligence. Aussi les philosophes qui le professent font-ils plutôt reposer le droit sur la considération du bonheur et adoptent la théorie que nous venons d’examiner.

Que si le déterminisme affirme que l’intelligence humaine est d’un ordre à part, tout à fait séparé de l’ordre physique et même de l’ordre sensible et élevé au-dessus d’eux, que tous les hommes participent à la même essentielle intelligence, sa position au point de vue du droit devient plus solide et moins arbitraire. Et il ne nous paraît pas juste d’opposer ici comme partout au déterminisme une sorte de question préalable en lui interdisant de parler d’un domaine du droit distinct de celui des faits, sous prétexte que le déterminisme professe que tout ce qui arrive doit arriver et que dès lors rien n’est hors du droit de ce qui se fait. Il nous semble que le déterminisme peut toujours distinguer l’ordre idéal de l’ordre réel. Étant donnés les mouvements de mon bras, la résistance de la craie et les aspérités du tableau, le cercle que je viens de tracer ne pouvait être que ce qu’il est ; refuserez-vous cependant au géomètre déterministe le pouvoir d’imaginer le cercle idéal que ce cercle particulier devrait réaliser et qu’il ne réalise pas ? En négligeant les antécédents et les circonstances variables, le déterministe peut donc arriver à connaître le devoir-être