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fensif qu’il s’agit de protéger que sur l’existence du libre arbitre dans le criminel. La société ne punit pas, elle n’usurpe pas la place de Dieu. Il lui suffit de ne pas atteindre l’innocent et de ne frapper que le coupable. Elle défend les actes qui lui sont nuisibles, les empêche et les réprime de son mieux. Comme le législateur déterministe, le législateur partisan du libre arbitre prendra contre le fou furieux des mesures de précaution. Tous les deux agiront de même dans la graduation et l’application des peines. Tous les deux seront plus sévères à proportion de la perversité que révéleraient les actions ; seulement ce que l’un appellera perversité de volonté, l’autre le nommera perversité de nature. La législation pénale n’aura donc pas à changer, quelle que soit la croyance métaphysique du législateur. Seulement, tandis que le partisan du libre arbitre peut toujours croire au renversement possible des tendances de l’être par un coup de volonté, que dès lors il ne doit jamais désespérer de la correction du criminel, le déterministe est plus prompt à se décourager et par suite plus favorable aux peines rigoureuses et irréparables.

Ainsi, la seule différence, mais elle est capitale, qui existe entre les conséquences sociales qu’on peut logiquement déduire du déterminisme et du libre arbitre, c’est que, seule, la croyance au libre arbitre et à la valeur morale que le monde acquiert par lui, permet d’opposer à la loi civile une barrière juridique au seuil de chaque conscience individuelle. Avec le libre arbitre, une barrière s’oppose aux empiètements de l’État ; les citoyens, s’ils n’ont pas des fonctions égales, ont cependant des droits égaux à la sécurité, à la propriété, à la liberté. Chaque citoyen est maître chez soi. Hors de chez lui, la société a des droits sur lui, mais des droits limités aux besoins indispensables de la vie sociale. C’est la ferme conviction où se trouve la société qu’une action attente au droit des autres qui, seule, lui donne le droit de la réprimer. Les actions indispensables à sa vie, elle les ordonne ; celles qui la mettent en péril, elle les défend ; elle laisse libres les inoffensives ou même celles dont elle ignore les conséquences.

Il y a dans chaque société un certain nombre de dogmes sociaux qui forment sa sève idéale et qu’il n’est pas permis d’attaquer. C’est à la diminution du nombre de ces dogmes sociaux que nous devons le nombre toujours croissant de nos libertés politiques. Après la rupture de l’unité religieuse, les sociétés européennes n’ont plus osé affirmer qu’une telle unité fût indispensable à leur existence : de là la tolérance et la liberté religieuses. Quand on a cru que les croyances bibliques n’étaient pas indispensables à la vie sociale, on a abrogé la loi du repos dominical. Quand on a cru que