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FONSEGRIVE.conséquences sociales du libre arbitre

Dieu n’était pas le fondement de l’édifice social, on a supprimé la loi du blasphème. Quand on a cru que le bon ordre social pouvait s’accommoder de la négation de la vie future, on a donné aux enterrements civils les mêmes libertés qu’aux obsèques religieuses. On a permis d’attaquer les religions, les institutions, les mœurs mêmes à mesure qu’on les a crues moins indispensables à la vie sociale. La parole et la presse ont été aussi d’autant plus libres qu’on les a jugées plus inoffensives. Ainsi la critique ou l’expérience ont fait tomber morceau par morceau tous les étais qui soutenaient le vieil édifice social. Quelques-uns croient même qu’on peut permettre de les saper tous, et qu’il se soutiendra malgré tout par la seule vertu de sa force naturelle.

Quoi qu’il en soit, nous ne croyons pas que ce soit de la croyance au libre arbitre qu’est venue historiquement cette augmentation de la liberté. Elle vient plutôt d’un déchet que la critique et l’expérience ont fait subir aux principes sur lesquels reposait autrefois la société. Dans les conditions historiques où dominent le doute et l’incertitude, le déterministe et le partisan du libre arbitre doivent se rencontrer pour reconnaître que le législateur ne doit pas forcer le citoyen à respecter des théories dont on peut douter sans ébranler les fondements de l’ordre social. Tous les deux devront « laisser faire et laisser passer ». Nous croyons donc pouvoir conclure que la doctrine déterministe et celle du libre arbitre peuvent aboutir aux mêmes conséquences de fait, et qu’en particulier, à l’heure douteuse où nous sommes, déterministes et indéterministes doivent les uns et les autres être des libéraux. Mais une différence sépare toujours les deux systèmes, idéale sans doute, mais à nos yeux capitale ; si les circonstances historiques étaient changées, si les certitudes fournies par la sociologie étaient plus grandes, le déterminisme, sans nul scrupule, se croirait le droit de violer le domicile et la conscience du citoyen ; au contraire, avec le libre arbitre, les circonstances historiques et les certitudes scientifiques pourront faire varier l’étendue de la liberté politique, mais le droit du citoyen à sa liberté privée, à l’inviolabilité de sa conscience, comme de son domicile, image concrète de sa conscience, reste constamment imprescriptible.

G. Fonsegrive.