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GAROFALO.le délit naturel

branche de la science du droit ; on a donné à la pénalité un caractère juridique ; on s’est adressé aux avocats pour la législation, et à des avocats encore pour appliquer la loi. Il n’y a qu’un seul et même ordre de fonctionnaires pour juger en matière civile et pénale, et les salles d’audience présentent à peu près le même spectacle, des hommes en robe noire, des greffiers, des avocats qui plaident… Et pourtant, qui ne sent pas que le rapport entre les deux choses est presque imaginaire, et qu’une distance incommensurable sépare ces deux salles d’audience existant dans le même édifice à quelques pas l’une de l’autre ?

Les juristes se sont emparés de la science de la criminalité ; on les a laissés faire et on a eu tort, à mon humble avis. J’espère parvenir à justifier ce que ces mots peuvent avoir d’étrange. Pour le moment, contentons-nous de démontrer la manière dont ils envisagent l’idée du crime.

Qu’est-ce d’abord que la criminalité pour le juriste ? Rien. Il ne connaît presque pas ce mot. Il ne s’occupe pas des causes naturelles de ce phénomène social ; ce sont pour lui, tout au plus, des connaissances de luxe. Le criminel n’est pas pour lui un homme anormal psychiquement ; ce n’est qu’un homme comme tous les autres, qui a commis une action défendue et punissable. C’est que le juriste n’étudie le délit que d’après sa forme extérieure, il n’en fait aucune analyse selon la psychologie expérimentale, il n’en recherche pas la dérivation. Ce qui le préoccupe, c’est la détermination des caractères extérieurs des différents délits, c’est la classification des délits, selon les droits qu’ils blessent, c’est la recherche de la peine juste, proportionnellement et in abstracto, non pas de la peine utile expérimentalement pour l’atténuation du mal social.

Si le juriste ne s’occupe pas de la criminalité comme mal social, du moins nous a-t-il donné une définition rigoureuse de ce qu’il entend par délit ?

C’était, selon l’ancienne école utilitaire, « une action que l’on croit devoir défendre, à cause de quelque mal qu’elle produit ou qu’elle tend à produire[1] ; ou, tout simplement, « une action défendue par la loi[2] ; ou, enfin, « une action quelconque opposée au bien public » [3].

On voit, d’un coup d’œil, ce qu’il y a de vague dans de pareilles définitions ; on peut y faire entrer tout ce qu’on veut, tout ce qui, du moins, sous un rapport quelconque, peut être considéré comme nuisible à la société.

  1. Benthaw, Traité de législation pénale, ch.  i.
  2. Filangieri, Scienza della legislazione, lib. I, cap. 37.
  3. Beccaria, Dei delitti e delle pene, § VI.