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On a tâché, depuis, d’y introduire un élément moral, l’injustice. C’est ainsi que l’un des plus grands écrivains italiens nous dit que le délit est l’acte d’une personne libre et intelligente, nuisible aux autres et injuste[1], et que le fondateur de l’école française moderne explique que « le pouvoir social ne peut regarder comme délit que la violation d’un devoir envers la société et les individus, exigible en soi et utile au maintien de l’ordre[2]. »

On a adhéré de toutes parts à cette conception du délit, selon laquelle l’utilité sociale n’est plus qu’une condition pour qu’une action immorale soit punissable.

Il est néanmoins facile de voir quelle en est l’élasticité, du moment qu’on parle d’immoralité ou d’injustice en général, sans autre détermination. Nous en présenterons un exemple tiré d’un des ouvrages les plus estimés en pareille matière :

« Tout trouble apporté à l’ordre social est un délit moral, puisque ce trouble est la violation d’un devoir, celui de l’homme envers la société. Ainsi, les actions que la justice a mission de punir seraient de deux sortes : ou empreintes d’une immoralité intrinsèque, ou pures en elles-mêmes de cette immoralité, mais la puisant alors dans la violation d’un devoir moral ; dans ces deux cas, il y aurait délit social, l’élément de ce délit serait la criminalité intrinsèque ou relative de l’acte. La plupart des contraventions matérielles rentrent dans la dernière classe[3]. »

En d’autres termes, lorsqu’on fait une chose défendue par une autorité légitime, il y a immoralité, à cause de la désobéissance à la loi. Mais, alors, à quoi bon distinguer l’élément moral et nous le présenter comme une condition sine qua non pour qu’une action ait le caractère de délit ? Du moment que l’obéissance à la loi est un devoir moral, autant vaut en revenir aux définitions de l’école ancienne, et nous dire tout simplement que le délit est une action défendue par la loi.

M. Ad. Franck a substitué la proposition corrélative à celle employée par Rossi. Ce dernier parle de la violation d’un devoir ; le premier, de la violation d’un droit. Une action ne peut être légitimement poursuivie et punie par la société que lorsqu’elle est la violation non pas d’un devoir, mais d’un droit, d’un droit individuel ou collectif, fondé, comme la société elle-même, sur la loi morale[4].

  1. Romagnosi, Genesi del dritto penale, § 554 et suivants.
  2. Rossi, Traité du droit pénal, liv.  II, ch.  i. Cette définition a été acceptée, entre autres, par Ortolan, Trébutien, Guizot, Bertault, en France, Haus en Belgique, Mittermaier en Allemagne.
  3. Chauveau et Hélie, Theorie du code pénal, ch.  xvii.
  4. Ad. Franck, Philosophie du droit pénal, page 96. Paris, 1880.