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posé d’éléments simples ; s’il était composé, il périrait, car il est nécessaire que tout ce qui est formé par l’union de corps simples se dissolve ; s’il était un corps simple, eau, feu, air ou terre, il serait inanimé et sans raison, ce qui est absurde.

Puisque Dieu n’est ni corporel, ni incorporel, il faut dire qu’il n’existe pas[1].

Passant du domaine sensible au domaine rationnel, Carnéade dirigeait des objections aussi pressantes contre les attributs moraux de Dieu, pour conclure, de l’impossibilité de les réunir dans un même être, la non-existence de Dieu.

Dieu devrait, disait-il, être doué de toutes[2] les vertus pour être heureux ; car le bonheur ne peut subsister indépendamment de la vertu. Mais il n’a pas certaines vertus comme la tempérance et la patience, car il n’y a aucune chose dont il s’abstienne avec peine ou qu’il ne puisse supporter qu’avec difficulté. S’il ne possède pas ces vertus, comme il n’y a pas de milieu entre le vice et la vertu, il aura les vices qui leur sont opposés, la mollesse et l’intempérance, ce qu’il est absurde de dire à propos de Dieu.

Si, au contraire, il y a certaines choses dont Dieu ne peut que difficilement s’abstenir ou qu’il supporte avec peine, il en recevra du tourment et changera en mal ; mais, dans ce cas encore, il serait soumis à la destruction : ce qui ne peut être vrai de Dieu.

Donc, Dieu n’existe pas.

Carnéade raisonnait de même à propos du courage et de la magnanimité ; puis il passait à la sagesse. Si Dieu est sage, il connaît les biens, les maux et les choses indifférentes ; la peine, qui est au nombre des choses indifférentes, est donc connue de Dieu ; mais s’il ne l’éprouvait pas, il l’ignorerait, comme l’aveugle de naissance ignore ce qu’est la couleur, comme nous ignorons la nature d’une douleur que nous n’avons pas ressentie. Qu’on ne dise pas qu’il n’éprouvera que du plaisir et que par le plaisir il connaîtra la douleur, car le plaisir n’est que le résultat de l’éloignement des objets qui nous donnent de la peine ; et d’ailleurs Dieu, étant soumis à cette diffusion qui constitue le plaisir, devrait être soumis de même au changement en mal, par suite à la destruction, ce que nous avons déjà qualifié d’absurde.

Dieu devra posséder la sagesse qui s’applique aux délibérations.

  1. Sextus, IX, 151. La dernière partie de l’argumentation est prise §  181.
  2. Sextus, loc. cit. Carnéade se place encore au point de vue stoïcien : celui qui a une vertu, les possède toutes : Dieu, pour être égal au sage, doit donc, selon les Stoïciens, posséder toutes les vertus (τὸν μίαν ἔχοντα, πᾶσας ἔχειν… Stob. Ecl. II, p. 106).