Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIII.djvu/419

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
409
REVUE GÉNÉRALE.marillier. La suggestion mentale, etc.

opposer à l’hypothèse de la suggestion mentale disparaîtraient. On comprend en effet que si un état nerveux peu complexe (de la fatigue, je suppose, ou un mal de tête) peut être transmis directement d’un organisme à un autre, il n’est pas invraisemblable qu’un état plus complexe (tel que celui qui correspond objectivement à une sensation, ou à une pensée) puisse se transmettre aussi. De là la très grande importance que M. Ochorowicz attache à cette question. Il a recueilli un certain nombre de faits qui tendent à établir que, dans quelques cas, des états organiques se sont réellement transmis d’un individu à un autre[1] ; il a pu en observer lui-même quelques-uns au cours de ses très nombreuses expériences d’hypnotisme : ainsi, après avoir magnétisé un malade tabétique et lui avoir longtemps imposé les mains sur les cuisses, il a souvent ressenti dans le dos ou le bras des douleurs analogues aux douleurs fulgurantes, mais très atténuées[2]. Il parle aussi de maux de tête, de douleurs rhumatismales passagères qu’il aurait ainsi contractées. La preuve cependant est loin d’être faite et les causes d’erreur sont si nombreuses que le plus sage est de réserver son jugement. M. Ochorowicz a indiqué l’extrême difficulté qu’il y avait à isoler de la contagion psychique cette forme directe de la contagion nerveuse. Il a montré comment dans les cas même où rien ne semblait devoir nous renseigner sur la nature de la maladie, des sensations olfactives, thermiques, tactiles, etc., nous apprennent, sans que nous nous en doutions, ce que nous avons besoin de savoir. L’image agit alors et nous retombons sur des phénomènes connus.

Il faut se défier aussi des coïncidences : souvent c’est de la transmission de douleurs, de malaises, etc., que l’on parle ; cela est bien vague, bien indéterminé. J’en dirai autant de la transmission des émotions. Notre science des émotions est trop peu avancée encore pour que nous ne nous laissions pas prendre souvent à des analogies grossières dues à de pures coïncidences. Les expériences faites sur les sensations ont plus de valeur. M. J. Janet[3] se brûle fortement le bras ; Mme B. est dans la pièce voisine avec M. Pierre Janet, elle crie, et se plaint, montre son bras où elle semble souffrir beaucoup ; l’endroit qu’elle montre est bien celui où s’est brûlé M. Janet. Mais le phénomène n’a pas eu d’ordinaire la même netteté, tant s’en faut. Cependant Mme B. semblait reconnaître la substance que goûtait l’expérimentateur, et distinguer ainsi le sucre du poivre et du sel. J’ai assisté moi-même à l’expérience suivante M. Gibert et moi nous étions dans une pièce voisine de celle où se trouvait Mme B., il se pince la main. Nous trouvons Mme B. très agitée, criant : « Méchant, méchant », et montrant sa main. Dans les mêmes conditions, M. Gibert se pique le front, Mme B. porte en gémissant sa main droite à son front. Mais je n’affirmerais pas que malgré le

  1. De la suggest. ment., cas cité par Bertrand (p. 162-163). Rapp. du Dr Husson à l’Acad. de méd., ibid., p. 170-173. Cas cités par Du Potet, p. 209-212.
  2. Ibid., p. 206.
  3. Revue phil., août 1886.