revenais je trouvais en effet Mme D. dans son état normal et se moquant de mon insuccès. Un instant plus tard, ou un autre jour, je passais dans la pièce voisine sous un prétexte quelconque, mais cette fois avec l’intention bien arrêtée de produire le sommeil, et après une minute à peine le résultat le plus complet était obtenu[1]. » Cette expérience semble concluante et cependant on peut lui adresser des critiques. Et d’abord elle n’a toute sa valeur que la première fois où elle a été faite. Pour une cause fortuite le sujet ne s’est pas endormi lorsque vous l’avez prévenu que vous alliez l’endormir à distance, peut-être tout simplement parce qu’il croyait cette action à distance impossible : une association peut se former dans son esprit entre le fait que vous l’avez prévenu et le fait qu’il ne s’est pas endormi et rendre dorénavant le sommeil impossible ou fort difficile dans les mêmes conditions. D’autre part, qui pourrait répondre que lorsque l’expérimentateur sort du salon pour aller chercher son mouchoir, il ait exactement la même attitude que lorsqu’il passe dans la pièce voisine pour tenter d’endormir un sujet par action mentale ? Dans les deux cas, il peut y avoir des indications données inconsciemment, inconsciemment perçues et qui suffiraient à tout expliquer. Les faits rapportés par le Dr Dusart[2] sont beaucoup plus probants : le sommeil sans aucune entente préalable avec la malade ni avec son entourage s’est produit plusieurs fois à la suite d’un ordre mental donné à grande distance (7 et 12 k. par exemple). Les expériences si consciencieusement et si méthodiquement poursuivies par M. Pierre Janet sont désormais classiques sur une série de vingt-deux expériences faites soit par lui, soit par le Dr Gibert, il a obtenu seize succès. La proportion, comme on le voit, est énorme.
Il faut ici, comme dans le cas du Dr Dusart, écarter résolument l’hypothèse d’une série de coïncidences : elle est invraisemblable. Dans les expériences[3] auxquelles j’ai moi-même assisté, le sommeil a trois fois suivi à quelques minutes à peine d’intervalle l’ordre mental donné à distance. Faut-il donc affirmer que dorénavant l’action à distance doit être tenue pour un fait acquis et démontré ? tel n’est pas notre avis. La rareté des phénomènes observés, l’ignorance où nous sommes des conditions expérimentales, l’extrême difficulté d’écarter toutes les causes d’erreur, dont beaucoup existent certainement sans que rien vienne nous les déceler, nous obligent, je crois, à suspendre par prudence notre jugement. Nous n’en sommes pas encore venus au moment de conclure : contentons-nous longtemps encore d’enregistrer les faits lorsqu’ils nous paraissent avoir été constatés par des expérimentateurs clairvoyants, sévères pour eux-mêmes et de bonne foi.