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REVUE GÉNÉRALE.marillier. La suggestion mentale, etc.

intérêt capital. C’est donc un événement particulier dont il faut faire la preuve. Qui ne sait l’extrême difficulté à laquelle on se heurte dans ce cas et qui fait des recherches d’érudition historique un problème presque insoluble ? Un magistrat éminent, M. Tarde, avoue qu’il est presque impossible en matière criminelle d’atteindre autre chose que des probabilités et cependant c’est à des faits comparativement grossiers que l’on a affaire. Combien il est plus facile de prouver que c’est tel ou tel qui a commis un crime, vol ou meurtre, que de rapporter exactement tous les détails d’une hallucination, sans en ajouter et sans en omettre. Deux hommes qui ont assisté à un même événement le racontent avec mille différences de détail : à huit jours de distance le même homme n’en donnera pas deux versions identiques, jusqu’au moment où il se sera inconsciemment fabriqué à lui-même une histoire qu’il apprendra par cœur et prendra très sincèrement pour la vérité. Et lorsqu’on remarque que l’immense majorité des cas cités dans le livre dont nous nous occupons ont été observés par des femmes, des ecclésiastiques, des militaires, des commerçants, tous gens qui n’ont que peu d’habitude de la critique scientifique et qui ne se tiennent pas en perpétuelle défiance d’eux-mêmes et d’autrui, quand on réfléchit à l’invraisemblable précision de beaucoup de ces récits, on se sent pris d’une très légitime défiance et l’on est conduit à se demander s’il est prudent d’accepter des conclusions qui ne reposent que sur une explication hypothétique de faits aussi peu certains. Cette difficulté ne pouvait échapper à des esprits aussi scientifiques que ceux des auteurs des Phantasms, aussi ont-ils consacré un long chapitre de leur livre[1] à exposer les règles de critique qu’ils ont suivies et à discuter les objections qu’on pouvait leur opposer, mais ils ne nous paraissent pas en avoir vu toute la gravité. Il semble bien que l’hypothèse des coïncidences fortuites ne suffise pas à expliquer pleinement tous les faits, mais les faits se sont-ils réellement passés tels que MM. Gurney et Myers les rapportent, c’est ce que nous ne pouvons savoir, pas plus qu’eux-mêmes, ni, croyons-nous, que ceux qui les ont personnellement expérimentés. Il y a même parfois des contradictions entre quelques-unes de leurs affirmations dans ce chapitre et les faits qu’ils citent : ils disent par exemple que ce n’est pas une croyance répandue que l’apparition d’une personne soit une annonce de sa mort, et dans un grand nombre des récits qu’ils rapportent, il est dit nettement que la personne qui a éprouvé l’hallucination en a conclu que l’ami ou le parent qui lui était apparu était mort ou allait mourir. Mais ce qu’ils ont très bien vu[2], c’est que nous faussons la réalité en voulant lui donner une forme définie et que pour alléger notre mémoire nous simplitions et arrangeons à notre gré des phénomènes très complexes souvent et très vagues. J’aurais aimé qu’ils eussent tenu plus grand

  1. Phant. of the Living., I, p. 114-185.
  2. Ibid., I, p. 130.