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PIERRE JANET.l’anesthésie systématisée

du sommeil hypnotique complet. Je n’en veux pour le moment qu’une preuve que j’emprunte au livre de M. Beaunis : « Le sujet est en rapport avec le monde extérieur ; il se rappelle parfaitement tout ce qui se dit ou se fait autour de lui, tout ce qu’il a dit ou fait lui-même ; le souvenir n’est perdu que sur un point particulier : la suggestion qui vient de lui être faite[1]. » Ajoutons un mot : Non seulement L… ne se souvient pas de mes suggestions, mais elle n’en a jamais conscience, même si on l’interroge au moment où elle les accomplit, et la description de M. Beaunis conviendra tout à fait au cas présent. Pendant le sommeil hypnotique complet, L… est plus ou moins indifférente au monde extérieur et agit très peu spontanément. Si on n’use pas d’artifices particuliers qui équivalent à une suggestion, elle a tout oublié au réveil, non seulement les suggestions, mais encore tout ce qui s’est passé pendant son sommeil. Dans cet état particulier, au contraire, elle conserve une existence normale ininterrompue dont le souvenir dure naturellement, et toujours l’oubli et l’inconscience ne portent que sur un point particulier, c’est-à-dire mes suggestions. Ce n’est donc là qu’un degré très inférieur d’hypnotisme. Il est vrai qu’il y a des sujets (j’en ai vu plusieurs de ce genre) qui présentent un sommeil hypnotique très simple dans lequel il serait ridicule d’établir des subdivisions. Mais il n’en est pas de même pour des sujets plus compliqués. À moins de vouloir tout confondre, il faut constater chez eux des degrés de sommeil, quand même cette classification ne se retrouverait pas partout, car chaque degré de sommeil amène des phénomènes psychologiques très différents. Je dirai donc que L… est, lorsqu’elle écrit automatiquement, en état de veille somnambulique, car elle est en état de veille par rapport à toutes les autres personnes et simultanément en somnambulisme par rapport à moi. C’est, comme l’a dit M. Ch. Richet dans un article très intéressant où il étudie des phénomènes absolument identiques, un état d’hémi-somnambulisme[2].

Il serait intéressant d’étudier aussi ce nom nouveau d’Adrienne que s’attribue le sujet lorsqu’il écrit automatiquement. Que signifie cette nouvelle personnalité ? Est-ce un accident, le produit d’une suggestion maladroite ou un fait psychologique plus profond et plus important ? Il faudrait, pour le dire, comparer ce phénomène à tous les troubles de la personnalité déjà signalés pendant le somnambulisme et dont l’étude sera si fructueuse pour l’explication de l’idée

  1. Ibid., 165.
  2. Ch. Richet, Les mouvements inconscients, dans l’Hommage à M. Chevreul, P. 93.