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nomène sont, je crois, M. Paul Richer[1] et MM. Binet et Féré[2], qui ont indiqué à ce sujet plusieurs expériences d’une très grande précision. 1o Si on a suggéré à une somnambule qu’une personne, M. X…, avait disparu, la somnambule ne peut plus le voir à quelque endroit de la chambre qu’il se tienne ; mais si on ajoute un objet sur M. X…, un chapeau par exemple, comme il n’est pas compris dans la suggestion, ce chapeau reste visible et paraît alors se tenir dans l’air. Au contraire, si M. X… tire un mouchoir de sa poche, ce mouchoir reste invisible comme lui. J’ai eu l’occasion d’observer, comme les auteurs le remarquent eux-mêmes, que ces deux phénomènes et d’autres du même genre sont très variables. Pour une somnambule, tout objet ajouté à M. X… devient toujours invisible ; pour une autre, il est toujours visible. J’ai vu une fois une personne qui voyait l’objet à moitié, comme coupé en deux, quand il était tenu à la fois par la personne invisible et par une personne visible. 2o La personne ou l’objet que l’on a rendu invisible cache réellement les objets qu’il recouvre, mais la somnambule supplée à la vision de ces objets par une hallucination qui les remplace : c’est d’ailleurs ce que nous faisons journellement pour les objets qui viennent se peindre sur la tache aveugle de la rétine. Cette hallucination peut aller fort loin : j’ai vu une fois le sujet à qui j’avais suggéré de ne pas voir la chambre, la remplacer par l’hallucination d’un autre appartement dont je n’avais pas parlé. 3o L’objet invisible doit être réellement perçu, car il produit quelquefois une image consécutive de couleur complémentaire qui est visible. Fait-on disparaître un papier rouge, la somnambule ne le voit pas, mais au bout de quelque temps verra une couleur verdâtre à la même place. Je n’ai pas observé ce phénomène d’une manière assez nette, mais les conditions physiques et morales dont le somnambulisme dépend sont si complexes qu’il ne faut jamais s’étonner de ne pas rencontrer exactement les mêmes phénomènes que d’autres observateurs. 4o  « Entre dix cartons d’apparence semblable nous en désignons un à la malade somnambule et celui-là seul sera invisible. À son réveil, en effet, nous lui présentons successivement les dix cartons, celui-là seul est invisible sur lequel nous avons, pendant le somnambulisme, attiré son attention. Si la malade se trompe quelquefois, c’est que le point de repère vient à lui manquer et que les cartons sont trop semblables ; de même si nous ne lui montrons qu’un petit coin des cartons, elle les verra tous[3]. » Cette expérience est à mon avis capitale et elle nous indique la véritable position de

  1. La grande hystérie, 1885, p. 721.
  2. Le magnétisme animal, 1887, p. 228.
  3. Binet et Fere, Magnétisme animal, 236.