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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIII.djvu/467

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PIERRE JANET.l’anesthésie systématisée

la question. Il ne s’agit plus en effet de paralysie de la rétine ni complète ni partielle. « Il faut que le sujet reconnaisse cet objet pour ne pas le voir… la reconnaissance du carton, qui exige une opération très délicate et très complexe, aboutit cependant à un phénomène d’anesthésie, il est donc probable que cet acte de reconnaissance se passe tout entier dans l’inconscient… il y a toujours un raisonnement inconscient qui précède, prépare et guide le phénomène d’anesthésie. » Non seulement cela est probable, mais cela est nécessaire : réveillée, la somnambule ne se souvient plus de ce qu’on lui a commandé, elle ne sait pas qu’il y a un objet qu’elle ne doit pas voir ni quel est cet objet. Lorsqu’on lui montre ce carton, il faut cependant que ce souvenir renaisse et qu’elle reconnaisse le carton à certains signes, quoiqu’elle n’ait connaissance de rien du tout cela. Il me semble qu’il y a quelque analogie entre ce problème et celui que j’ai étudié précédemment. Comment une somnambule à qui on a commandé de revenir dans huit jours, compte-t-elle ces huit jours quand elle n’a aucun souvenir de la suggestion ? Comment reconnaît-elle un signe dont elle ne se souvient pas et qu’elle paraît même ne pas voir ? Les deux problèmes sont identiques, et si l’observation du sujet dont j’ai parlé m’a permis d’apporter quelque lumière sur le premier, peut-être me permettra-t-elle d’éclaircir un peu le second. J’ajouterai ainsi quelques détails à toutes les observations si justes que je viens de rapporter.

III

Pendant le sommeil hypnotique complet, je mets sur les genoux de la somnambule cinq cartes blanches dont deux sont marquées d’une petite croix. « Quand vous serez réveillée, lui dis-je, vous ne verrez pas les papiers marqués d’une croix. » Je la réveille le plus complètement possible une dizaine de minutes plus tard et elle n’a conservé aucun souvenir de mon commandement, ni de ce qu’elle a pu faire pendant le sommeil. Comme elle s’étonne de voir des papiers sur ses genoux, je la prie de les compter et de me les remettre un à un. L… prend l’un après l’autre trois papiers, ceux qui ne sont pas marqués, et me les remet. J’insiste et demande les autres, elle soutient ne plus pouvoir m’en remettre, car il n’y en a plus. La physionomie ne semble pas altérée et elle paraît bien éveillée, elle peut causer librement et se souvient de tout ce qu’elle fait, même de m’avoir répondu qu’il n’y avait que trois papiers sur ses genoux. Je prends tous les papiers et je les étale sur ses genoux à l’envers de manière à dissimuler les croix, elle en compte cinq et me les remet