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PICAVET.le phénoménisme et le probabilisme

même avoir un but (sic vivendi ars est prudentia). Or presque tous les philosophes s’accordent à reconnaître que ce que poursuit la prudence, doit être conforme à la nature et capable de mettre en branle nos inclinations. Mais ils sont en désaccord, lorsqu’il s’agit de déterminer quel est ce premier moteur ; trois moteurs principaux auxquels se ramènent tous les autres ont été tour à tour invoqués : le plaisir, l’absence de douleur et les premiers avantages naturels (prima secundum naturam), dans lesquels rentrent la santé, le bon usage des organes, la beauté, etc. L’art de vivre ne pourra donc consister que dans la recherche du plaisir, la fuite de la douleur ou la poursuite des premiers avantages naturels. L’honnête, le bien (recti ratio atque honesti), consistera à faire toute chose en vue d’acquérir du plaisir, ou d’échapper à la douleur, ou de se procurer les premiers avantages naturels, alors même que l’on ne réussirait pas (etiam si non adipiscare). C’est la poursuite de l’idéal et non l’idéal lui-même que l’on considère comme le bien par excellence. Personne n’a soutenu une telle doctrine en ce qui concerne le plaisir et l’absence de douleur ; les Stoïciens ont considéré comme étant seule bonne et digne de nos souhaits et recherches la poursuite même infructueuse des premiers avantages naturels.

Mais on peut considérer comme bien l’idéal lui-même, et rapporter tous ses actes au plaisir, à l’absence de douleur ou aux premiers avantages naturels ; ainsi le plaisir est pour Aristippe le souverain bien ; pour Hiéronyme, c’est l’absence de douleur ; selon une autre opinion défendue, mais non imaginée par Carnéade (non ille quidem auctor, sed defensor), ce sont les premiers avantages naturels[1].

Enfin, si l’on joint deux à deux chacun des trois principes indiqués précédemment, on aura trois nouvelles catégories ; si à l’honnête[2] on ajoute le plaisir, on aura le système de Calliphon et de Dinomaque ; l’honnête joint à l’absence de douleur constitue la théorie de Diodore ; joint aux premiers avantages naturels, il constitue celle des Académiciens et des Péripatéticiens[3].

Donc neuf opinions différentes sont possibles sur le souverain bien ; sept d’entre elles seulement ont trouvé des défenseurs.

Nous avons vu que Carnéade, partisan de l’incompréhensibilité universelle, ne reconnaissait pour vrai aucun de ces systèmes. Mais

  1. Carnéade complète sur ce point Chrysippe, qui n’admettait que trois opinions possibles sur le souverain bien : il consiste dans l’honnête, ou dans le plaisir, ou dans l’honnête et le plaisir. Chrysippe ne parlait que de trois catégories, Carnéade en compte neuf.
  2. Entendu au sens stoïcien. C’est la forme qu’il s’agit de donner aux premiers avantages naturels, matière de l’acte vertueux.
  3. De Finib., V, 6, 16. sqq.