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qu’il lui fait, semblent bien montrer qu’il le considérait comme un des philosophes les plus marquants de l’antiquité tout entière[1].

Aussi, l’on ne comprend pas que certains historiens de la philosophie aient pu méconnaître l’importance de ce philosophe, au point de ne lui accorder que quelques pages, alors que comme Brucker ils consacrent un livre entier à la philosophie antédiluvienne[2]. On ne voit pas plus pour quelle raison Ritter[3] a jugé que Carnéade n’avait eu en vue, par sa théorie de la probabilité, que la rhétorique et nullement la philosophie[4]. Il serait assez étrange, en effet, que le maître dont les disciples fidèles Clitomaque et Charmadas avaient dirigé contre la rhétorique des attaques que nous retrouvons dans Sextus[5], se fût donné pour unique mission le développement de la rhétorique.

Zeller, au contraire, trouve avec raison que, si Carnéade est parti des mêmes principes qu’Arcésilas, il les a développés, ordonnés d’une manière beaucoup plus complète (alles est viel vollständiger ausgearbeit und umfassender begründet[6]), et il a fait atteindre à l’École son plus haut degré de développement (ihren Höhepunkt erreicht[7]).

Il suffit, en effet, de résumer la philosophie de Carnéade, telle que nous avons essayé de l’exposer, pour se rendre compte de la place importante qu’il occupe ou plutôt qu’il doit occuper dans l’histoire de la philosophie.

Arcésilas avait combattu le Stoïcisme à son origine ; Carnéade l’attaque lorsqu’il a acquis son plus haut degré de développement, et il ne fait pas seulement la guerre au Stoïcisme, il attaque, avec autant de vigueur, tous les autres dogmatismes : analysant, avec une grande sagacité, la nature de la représentation, il montre qu’au-

  1. Cf. supra, ce que nous avons dit des emprunts de Sextus. — Cf. Hypot., I, 1, 2, où Carnéade est présenté comme le chef de l’école acataleptique que Sextus oppose aux écoles dogmatique et sceptique. — Cf. les éloges assez remarquables qu’il lui donne d’après Clitomaque, Math., IX, 152.
  2. Cf. De Gérando, III, 116. — Carneade est à peine cité par M. Ravaisson (II. 229), qui semble ne voir en lui qu’un disciple d’Arcesilas : Ueberweg lui consacre 27 lignes ; Schwegler, 8 ; M. Fouillée, 4, moins qu’un manuel du baccalauréat qui lui en accorde, 6 !
  3. III, 730, 694.
  4. Contra Zeller, III, i, 522. Renouvier, Crit. phil., VII, i, 273.
  5. Adv. Rhetores, II, 20.
  6. Zeller, III, i, 497.
  7. id., 523. Zeller parle non seulement de la Nouvelle Académie, mais aussi du Scepticisme. Mais, comme nous avons essaye de le montrer, il a vu à tort, dans Arcesilas, un Sceptique, et il a été amené ainsi à considérer son successeur comme un Sceptique. Nous pouvons conserver son appréciation sur la valeur du philosophe, sans admettre avec lui qu’on doive faire de Carnéade un pur Sceptique.