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PICAVET.le phénoménisme et le probabilisme

Quant à la logique, il parait s’être servi de la logique stoïcienne, pour combattre ses adversaires, sans avoir fait de la logique une théorie appropriée à l’ensemble de ses doctrines[1].

III

Il nous reste maintenant à déterminer la place de Carnéade parmi les Académiciens qui surtout, à partir d’Arcésilas, ont changé la doctrine de l’École ; puis à examiner ses rapports avec le Pyrrhonisme.

Nous avons vu quelle admiration ont éprouvée pour Carnéade ses contemporains. Les générations qui suivirent le jugèrent un des maîtres les plus marquants de l’Académie, et presque tous les philosophes, qu’ils fussent ses partisans ou ses adversaires, le placèrent même au-dessus d’Arcésilas. Cicéron nous dit, d’après Antiochus, que la doctrine d’Arcésilas, conservée par Lacyde, fut portée à sa plus haute perfection par Carnéade[2]. Plutarque nous apprend de son côté qu’un Stoïcien, louant la Providence d’avoir fait naître Chrysippe entre Arcésilas et Carnéade pour réfuter les attaques de l’un et répondre par avance à celles de l’autre, appelait Carnéade le plus célèbre des Académiciens[3]. Numénius, qui le considère comme un mal superposé à un autre mal, remarque qu’il trompait les autres sans pouvoir être trompé lui-même, tandis qu’Arcésilas se trompai t lui-même sans pouvoir tromper les autres[4]. Strabon l’appelle le premier des Académiciens[5]. Saint Augustin voit en lui le plus subtil et le plus redoutable adversaire de l’évidence[6]. Enfin Sextus lui-même nous indique que sa polémique fut dirigée contre toutes les écoles et non plus seulement comme celle d’Arcésilas contre le Stoïcisme[7] ; et la place qu’il lui donne dans son exposition, les emprunts

  1. C’est ce que semblent indiquer d’un côté le mot de Carnéade : « Si je n’ai pas bien raisonné, Diogène rendra la mine », et l’opinion généralement acceptée (Cf. Prantl., I, 499, Maccoll, 66, 67) que Clitomaque fit de la logique son domaine propre.
  2. Acad. pr., II, 6, 16. — Cf. II. 18, 60… « nisi tanta in Arcesila, multo etiam major in Carneade et copia rerum et dicendi vis fuisset ». Si Cicéron dit, Acad. post., I, 12, 46, que l’Académie conserva la mème doctrine d’Arcésilas à Carnéade (quæ usque ad Carneadem in eadem Arcesilæ ratione permansit), il veut sans doute parler du point de départ et non de la théorie tout entière.
  3. Moralia, 1059, A.
  4. Eusèbe, Prép. év., XIV, 8.
  5. Strabon, XVII, 3, 22, p. 838.
  6. Contra Academ., III, x, 22 : « hic evigilavit Carneades : nam nemo istorum minus alte quam ille dormivit, et circumpexit rerum evidentiam. »
  7. Adv. Math., VII, 159.