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le droit naturel au collège de france

n’a pu s’en dissimuler les lacunes. Il a hâte d’arriver aux droits particuliers, qu’il considère successivement dans l’individu, dans la famille et dans l’ensemble des relations sociales. Sur ces droits eux-mêmes, combien de questions sont soulevées, d’une grande importance pour la morale privée ou publique, mais étrangères à ce qui constitue proprement le droit ! Traite-t-il par exemple du mariage, il édifie toute une théorie de l’amour, qu’il se plaît à opposer aux paradoxes de Michelet. Or, l’amour a sans doute un rôle très légitime et très précieux dans le mariage, mais il n’y introduit et il n’y consacre aucun droit. Un mariage sans amour n’est pas moins respectable, dans toutes les obligations qu’il impose aux deux époux, qu’un mariage dont l’amour a été le seul mobile et dont il est resté le plus fort lien. Le même mélange de questions proprement juridiques et de questions étrangères au droit se retrouve dans les autres ouvrages de M. Franck. Il est moins apparent toutefois dans la Philosophie du droit pénal, qui ne sort de son sujet propre que par un certain nombre de digressions ; mais dans la Philosophie du droit ecclésiastique, toute la troisième partie, très remarquable d’ailleurs, n’est qu’une étude de philosophie religieuse, qui n’intéresse qu’indirectement les droits respectifs de l’État et de l’Église. Les sociétés religieuses doivent-elles se dissoudre pour ne laisser place qu’à la religion individuelle ? Lamennais, dans la dernière évolution de sa foi, et, avant lui, Benjamin Constant avaient soutenu cette opinion, à laquelle M. Franck oppose une confiance absolue dans la persistance et dans l’utilité sociale des Églises constituées. Rien de plus intéressant qu’une telle discussion, dont l’objet vient d’être renouvelé par M. Guyau, dans un livre d’une haute et sereine inspiration, malgré le radicalisme de ses conclusions et surtout de son titre[1]. Mais, quelle que doive être la religion ou l’irréligion de l’avenir, les Églises grandes ou petites, anciennes ou nouvelles, bienfaisantes ou dangereuses, subsisteront longtemps encore dans tous les États, et la seule question qui se pose pour la philosophie du droit est celle des limites dans lesquelles doit se mouvoir leur libre action.

Ces distinctions n’étaient pas inutiles pour expliquer le véritable objet de l’enseignement et des livres de M. Franck. Elles n’impliquent pas d’ailleurs une critique sévère. Les cours du Collège de France ne sont pas enfermés dans des cadres étroits. Il était permis au professeur de droit naturel et de droit des gens d’étendre ses études à toute la philosophie sociale et d’y choisir librement un certain nombre de questions, qui lui paraissaient le plus dignes d’une discussion approfondie dans l’état actuel des institutions, des idées et des mœurs. À plus forte raison n’était-il tenu de s’imposer aucune limite dans le choix des sujets de ses livres, et les titres qu’il leur a donnés, bien que se rapportant directement à des questions de droit privé ou public, sont loin d’exclure de libres excursions à travers les autres questions sociales.

  1. L’Irréligion de l’avenir. Étude de sociologie par M. Guyau, Félix Alcan, 1886.