Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIII.djvu/538

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
528
revue philosophique

vive et lumineuse critique des théories pénales de l’école spiritualiste, chez des maîtres tels que Cousin, Guizot, de Broglie, Rossi, auxquels il est doublement attaché par la communauté générale des doctrines et par l’habitude d’une constante déférence. Différentes par certains détails, ces théories se confondent dans leur principe fondamental : l’idée platonicienne et chrétienne, plus mystique encore que philosophique, de l’expiation. Comme le montre très bien M. Franck, cette idée est en dehors des principes propres de l’ordre social. L’État, dans l’exercice de son pouvoir judiciaire, comme dans celui de son pouvoir législatif et de son pouvoir administratif, n’a pas pour mission de réaliser la justice absolue, mais de protéger, dans la sphère des intérêts matériels, les droits des individus. Son droit à lui-même s’étend à tout ce qu’exige ce devoir de protection, mais il ne va pas au delà. Il en dépasserait les justes bornes s’il se proposait d’obtenir ce qu’on appelle l’expiation, c’est-à-dire la réparation morale des fautes par une souffrance, également d’ordre moral, équivalente au mal qu’elles ont produit. Il lui appartient, et M. Franck l’établit encore excellemment, de réprimer certaines fautes et même d’en assurer la réparation, mais au seul point de vue du tort qu’elles ont fait ou que leur exemple pourrait faire à la société. Il n’a pas à considérer, en dehors de ce point de vue, le degré de mal moral que ces fautes contiennent en elles-mêmes et il n’a pas davantage à infliger à leurs auteurs le degré d’expiation qu’ils devraient s’infliger à eux-mêmes, suivant la doctrine de Platon, pour donner satisfaction à la justice suprême.

M. Franck ne va-t-il pas trop loin cependant quand, pour éviter toute confusion entre l’ordre social et l’ordre moral, il distingue le droit répressif et réparateur de la société de ce qu’on appelle, dans toute la force du terme, le droit de punir ? Il se fait de ce dernier droit une idée si haute qu’il voudrait le laisser à Dieu seul. Il ne l’admet pas d’homme à homme, de quelque autorité qu’un homme soit investi. Il ne le reconnaît ni dans la famille, ni dans l’État. Qu’il le refuse au mari, j’y souscris sans réserve ; mais au père et à la mère ? mais à la loi pénale et aux magistrats chargés de l’appliquer ? Ces termes mêmes de loi pénale, de droit pénal, de peine, dont il se sert sans scrupule, seraient impropres, s’il n’était pas permis, dans l’exercice de la justice humaine, de parler de droit de punir.

Je crains qu’il n’y ait ici plus qu’une pure question de mots. Je trouve, dans la doctrine elle-même, sinon une erreur fondamentale, du moins une opposition excessive entre l’ordre moral proprement dit et les conditions dans lesquelles s’exerce la justice des hommes. Ce sont sans contredit des conditions imparfaites, doublement limitées par l’insuffisance des moyens d’information et par les bornes qui non seulement sont imposées aux moyens d’action, mais qu’ils doivent s’imposer à eux-mêmes. Nous ne pouvons descendre jusqu’au fond des consciences et le pussions-nous, nul, pas même le père, n’a ni un pouvoir absolu, ni un droit absolu sur le coupable dont il aurait reconnu le degré exact