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déterminer, par l’histoire des langues, l’histoire de la civilisation chez les peuples qui les ont parlées.

De ces recherches se dégagent un certain nombre de problèmes qui intéressent la psychologie. La question de l’origine du langage n’a pu sortir encore du domaine de la pure hypothèse ; l’étude comparative du langage de l’homme et de celui qu’on peut reconnaître dans plusieurs espèces animales, l’anthropologie et la zoologie combinées nous permettront peut-être un jour de traiter scientifiquement une question qui ne relève encore que de la métaphysique. Nous sommes plus avancés en ce qui concerne l’acquisition du langage par l’enfant. Sa pensée attache au petit nombre de mots qu’il possède des idées dont le nombre croît à mesure que s’augmente le nombre des objets qu’il perçoit ; en apprenant des mots nouveaux, il restreint les généralisations trop vastes qu’il avait d’abord formées ; ses idées s’augmentent plus rapidement que son lexique.

Mais on peut se borner à étudier le développement des langues. Les langues sont dans une perpétuelle évolution ; elles n’ont jamais qu’un équilibre instable, résultat de l’action de la force conservatrice qui tend à les maintenir dans leur état actuel et de la force révolutionnaire qui tend à les pousser dans des directions nouvelles. Dans la première de ces forces rentrent l’action de la civilisation, le respect de la tradition, le soin que prennent les parents et les maîtres de faire prononcer correctement les enfants, l’amour du beau langage, l’influence des livres sacrés et des ouvrages littéraires dont la valeur a été consacrée. La force révolutionnaire agit par des altérations phonétiques dans la prononciation, par des changements analogiques dans la grammaire, par des néologismes dans le lexique. Les changements de prononciation partent de l’enfant : les lois phonétiques qui règlent ces altérations, tantôt acceptées par l’unanimité, tantôt limitées à une partie déterminée du groupe, sont aussi régulières que celles qui président aux phénomènes d’ordre physique. Les changements analogiques dans la grammaire ont une cause psychologique : l’analogie étend une terminaison commune à quelques mots, à toute une série d’autres mots ; elle réduit à un type unique les formes multiples dues à l’étymologie et simplifie la grammaire ; elle crée en mettant au jour des faits nouveaux. Le néologisme amené par l’acquisition de nouveaux faits, de nouvelles idées, entraîne la disparition d’autres mots.

Si la force révolutionnaire cesse d’agir alors que la pensée continue à changer, la langue s’épuise et périt : c’est ce qui est arrivé au latin classique. Si elle agit seule, la langue paraît, après plusieurs générations, une langue nouvelle, ou bien elle se diversifie en une foule de dialectes qui se subdivisent eux-mêmes à l’infini. Max Müller a cru que ce développement effréné des langues, livrées uniquement à la force révolutionnaire, est l’idéal de la vie du langage, que les langues littéraires ne sont que des langues artificielles, des monstres. Sans doute, on peut déterminer plus facilement les causes qui agissent sur