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ANALYSES.a. darmesteter. La vie des mots.

le développement des patois et des langues barbares ; mais le changement incessant du langage va contre son objet, puisque les vieillards ne comprennent plus les jeunes gens ; le progrès de la civilisation, auquel on doit les langues littéraires et artistiques, est aussi naturel que toutes les autres manifestations de l’activité humaine ; les facteurs plus complexes qu’elles comprennent offrent un jeu plus intéressant.

Le spectacle de la lutte des deux forces opposées auquel nous font assister les patois et les langues littéraires, éveille tout un monde de problèmes : à quoi sont dues la naissance et la mort des langues, la forme propre du dialecte de chaque région ? quelles sont les influences réciproques de deux langues voisines ? jusqu’à quel point l’une peut-elle déformer l’autre sans lui enlever sa personnalité ? pourquoi tel idiome recule-t-il devant tel autre ? pourquoi les patois disparaissent-ils devant la langue littéraire ? l’individu peut-il savoir à fond une ou plusieurs langues étrangères comme sa langue maternelle, porter dans son esprit des modes opposés de grouper les idées sans perdre l’originalité de son esprit ? enfin quelle est l’action que la pensée exerce sur le langage et celle que le langage exerce sur la pensée ?

D’autres problèmes se posent à propos des diverses parties dont se composent les langues : les mots, les formes grammaticales, les combinaisons syntactiques. Les formes grammaticales constituent véritablement le fond de la langue, le moule dans lequel les mots viennent prendre corps ; elles permettent de classer les langues en ordres, familles, genres, espèces, de reconnaître les habitudes d’esprit diverses et les diverses façons de penser que représentent les langues monosyllabiques, agglutinantes et flexionnelles. La construction syntactique est déterminée par des raisons logiques et historiques ; elle montre le changement des habitudes de l’esprit, qui considère les choses à des points de vue nouveaux ; en voyant la race française décomposer lentement, siècle par siècle, les constructions synthétiques du latin pour en faire des constructions analytiques, on pénètre mieux dans le caractère de notre race, qui a besoin de voir clair dans ses idées et de les diviser pour les mieux saisir.

Quant aux mots, on peut les étudier à trois points de vue. Ce sont des sons qui changent insensiblement d’après des lois phonétiques que déterminent en grande partie la race et les milieux. Ce sont encore des groupes naturels et fixes de sons, ayant chacun leur individualité : mots composés, formés d’après des procédés propres et fondés sur des principes logiques spéciaux, suffixes soumis à des principes déterminés de dérivation. La dérivation nous fait saisir nettement l’action de l’esprit sur le langage ; la manière dont se forment les mots composés chez les différents peuples est une matière féconde pour la psychologie comparée.

Enfin les mots expriment les idées : jusqu’à quel point l’histoire des changements de sens reflète-t-elle l’histoire de la pensée ? tel est le problème dont l’auteur s’est proposé spécialement l’examen. Déterminer