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dans son livre, ses sujets parlent exactement comme les miens — ce qui, par parenthèse, prouve avec quel soin et avec quel scrupule les observations ont été consignées ; aussi j’ai fait une étude attentive de l’ouvrage, et j’en ai médité et pesé les moindres paroles. — Exemples : Mlle A… E… vole par suggestion une cuiller d’argent. Un dialogue s’engage entre lui et elle : « Qu’avez-vous fait tout à l’heure ? — J’ai volé une cuiller d’argent. Pourquoi ? — Je ne sais pas. — Savez-vous que c’est très mal. — Je ne pouvais faire autrement, ce n’est pas ma faute, j’étais poussée » (page 82). Mlle H… A…, qui vient d’être témoin de cette scène, défie l’expérimentateur de lui imposer un vol semblable. Le défi est relevé. Le sujet prend la cuiller. Dialogue : « Qu’avez-vous fait tout à l’heure ? — J’ai volé une cuiller d’argent. Pourquoi ? Je ne pouvais faire autrement » (page 83).

Sont-ce là des sujets convaincus qu’ils sont libres ? Je laisse à M. Beaunis le soin de répondre. Notons encore que ces réponses leur sont tirées pendant le sommeil, c’est-à-dire dans un état où ils auraient pu logiquement répondre le contraire.

2o Le sophisme. Ici M. Beaunis commet une récidive. Si dans la question de la liberté on ne peut faire fond sur le témoignage de la conscience, et si l’on est en droit de le récuser, si l’argument tiré, en faveur du libre arbitre, du sentiment que nous avons de notre liberté, rient à tomber, il est non seulement possible ou probable, mais — on peut l’avancer sans crainte — il est certain que nous sommes guidés fatalement sans le savoir. M. Beaunis me met au défi de trouver cette conclusion dans le passage cité ; il accepte possible, mais repousse avec indignation probable et certain.

Mon Dieu, en la prêtant à M. Beaunis — si je la lui prête — je ne croyais pas lui faire dire une énormité. Ce qu’il énonce signifie cela ou ne signifie pas grand’chose. On n’est pas déterministe à demi.

Mais voici le second sophisme. M. Beaunis me reproche en cela de lui endosser des opinions qu’il ne professe pas ( ?) pour me donner le plaisir de le combattre. Je pourrais lui rétorquer ce reproche. J’aime mieux croire qu’il m’a mal lu.

J’avais dit en passant — en cela avais-je tort ? — que fonder une négation du libre arbitre, si mitigée qu’elle soit, sur le fait qu’un hypnotisé, autrement dit un endormi, se croirait libre quand il ne l’est pas, c’était aller peut-être au delà des prémisses ». De ce que, quand je rêve, je me crois éveillé sans l’être, M. Beaunis, en conclura-t-il que je ne le suis jamais ni lui non plus ?

Seulement je ne m’arrête pas à argumenter en ce sens ; j’ajoute immédiatement : Mais ne chicanons pas » ; puis je fais cette simple demande, à laquelle je voulais précisément venir : « Comment, si nous-mêmes nous ne sommes pas libres tout en croyant l’être, pouvons-nous établir une distinction entre les somnambules et nous, et regarder cette illusion comme un signe caractéristique du somnambulisme ? »

Faire cette question, était-ce attribuer à M. Beaunis une opinion qui