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DARLU.la liberté et le déterminisme

rance invincible du rapport entre l’individuel et l’universel fonde théoriquement la valeur pratique de l’idée de liberté, en nous empêchant de considérer cette idée comme certainement illusoire[1]. » Ainsi la relativité des principes de la science conçue comme le fondement d’un principe différent de la morale est à la base des spéculations de M. Fouillée en morale. Or ce n’est là rien moins que l’idée critique elle-même. — Quant au problème propre de la liberté, on pourrait croire que M. Fouillée en a demandé l’énoncé à Kant, si nous ne savions d’ailleurs qu’il ne faut voir dans la ressemblance des termes qu’une rencontre involontaire, mais d’autant plus significative. « Le défaut commun des systèmes de métaphysique de notre temps, dit M. Fouillée, c’est le vide ou l’hiatus qu’ils laissent subsister entre la réalité et l’idéal, entre le relatif et l’absolu, entre le phénomène et le noumène, entre le connaissable et l’inconnaissable… Un problème se pose donc à notre époque : ne pourrait-on conserver la liberté, au moins comme idéal, dans la théorie, et donner à cet idéal un rôle actif, humain, individuel, de manière à réconcilier sur le plus vaste terrain possible le déterminisme et la liberté[2] ? » Et M. Fouillée ajoute : « Ce problème n’est pas seulement un problème philosophique ; il est, par excellence, le problème philosophique[3]. » Or, Kant parlant aussi du problème suprême, de celui qui reste à résoudre après la constitution de la philosophie théorique et de la philosophie pratique, avait dit : « Le domaine du concept de la nature et le domaine du concept de la liberté sont séparés comme par un immense abîme, comme si c’étaient deux mondes différents. Cependant celui-ci doit avoir une influence sur celui-là, puisque l’idée de la liberté doit réaliser dans le monde sensible le but posé par ses lois. Il faut donc qu’on puisse concevoir la nature de telle sorte que, dans sa conformité aux lois qui constituent sa forme, elle n’exclue pas du moins la possibilité des fins qui doivent y être atteintes d’après les lois de la liberté[4]. » Il va sans dire que la solution de M. Fouillée diffère de celle de Kant. Mais on peut conclure, ce semble, que l’assiette de sa philosophie est principalement kantienne[5].

  1. La Liberté et le Déterminisme, p. 333.
  2. id., p. 343, 344.
  3. id., p. vii.
  4. Introd. à la Crit, du jugement.
  5. Ajoutons que c’est la source où M. Fouillée a puisé ses plus hautes inspirations et, par exemple, cette idée qu’il aime à développer, que le problème final ne peut se résoudre que par l’action. Voy. aussi tout le beau chapitre sur la responsabilité, si riche et si profond. J’y signalerais volontiers telle page (p. 334) qui, pour l’intuition philosophique et l’élévation du sentiment, peut être mise à côté des meilleures pages de Kant.