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DARLU.la liberté et le déterminisme

arbitre exactement comme pour le déterministe, d’après la nature plus ou moins pressante des motifs évoqués entre lesquels il faut choisir » : proposition qui me paraît être précisément la contradictoire de sa thèse. Mais il y a plus. La distinction du vrai et du faux, et par conséquent la certitude ne sont possibles que pour les jugements que l’on conçoit comme nécessairement déterminés. Et dès qu’on suppose qu’ils sont libres, ils deviennent incertains. C’est ce qu’il est facile de démontrer, à l’aide de deux simples définitions. La vérité d’un jugement consiste dans sa conformité avec son objet. Quand j’énonce un jugement, la conformité de ce jugement avec son objet est indépendante de ma volonté[1]. Donc la vérité de ce jugement est indépendante de ma volonté. Or, la croyance est l’affirmation d’un jugement conçu comme vrai. Donc quand je crois à la vérité d’un jugement, je le conçois comme indépendant de ma volonté. Donc enfin la supposition que je ferais qu’il est à quelque degré que ce soit un acte de ma volonté ou de ma liberté implique contradiction. Le croyant qui s’apercevrait que sa croyance est l’effet de son désir cesserait aussitôt de croire. En attendant qu’on conteste ces propositions d’une simplicité élémentaire, on gardera le droit de ne voir dans la croyance volontaire qu’un euphémisme ingénieux pour désigner le doute.

III

Arrivons à la thèse de M. Fouillée. M. Fouillée s’est proposé de concilier le déterminisme avec la liberté en supposant l’intervention de l’idée de liberté dans le déterminisme de nos actes. Pour discuter cette thèse, pour l’apprécier surtout et reconnaître en quoi elle s’accorde avec les faits, en quoi elle s’en éloigne, il faudrait essayer, ce me semble, de développer l’idée du déterminisme appliquée aux actions de l’homme en écartant d’abord toute idée de liberté.

Cette idée du déterminisme est un concept philosophique. La science, sans doute, est déterministe aussi. Mais, comme elle est nécessairement bornée et relative, le déterminisme qu’elle suppose est

  1. En examinant de plus près cette proposition, on retrouverait l’idée intéressante qui a dû être le point de départ de tant de spéculations suspectes. Il y a des jugements dont la vérité semble liée aux décisions de la volonté ; ce sont ceux qui portent sur un état de choses futur dont l’action de celui qui juge se trouve être une condition. M. W. James, par exemple, a fort heureusement appliqué cette idée au problème de l’optimisme. Mais, même en ce cas, le jugement ne peut affirmer la réalité de l’objet, puisqu’elle est ambiguë ; il ne peut en affirmer que la possibilité. Et en cela il reste parfaitement indépendant de la volonté et de ses déterminations.