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triomphe définitivement non pas de l’indéterminisme en général dont l’idée répond, ce semble, à un besoin profond de l’esprit humain, mais de quelques-unes des manifestations récentes de cette doctrine, moins respectables que le principe qui les a inspirées, et, par exemple, de la théorie de la croyance volontaire. Ce paradoxe, propre à exercer la subtilité de nos jeunes philosophes, avait fait dans ces derniers temps une fortune surprenante. De tous côtés on nous assurait sérieusement qu’il n’y a point de certitude que volontaire, quelques-uns disaient de certitude scientifique. De tous côtés on nous proposait de parier pour ceci, pour cela, pour l’existence de Dieu, pour la morale, par cette raison que, dans l’incertitude universelle de nos jugements, le pari est la seule méthode de démonstration. Il semblait qu’il n’y eût que le scepticisme pour faire une bonne fin. Ce vertige mental, pour emprunter à M. Renouvier l’expression dont il s’est servi pour qualifier un état d’esprit très semblable[1], ne pouvait se prolonger beaucoup. Mais ce serait à désespérer de l’utilité de toute controverse, si les arguments de M. Fouillée ne débarrassaient pas le champ de la philosophie d’une erreur aussi palpable. Il est possible que les opinions philosophiques ne soient pas susceptibles de démonstration et de certitude, et que nous soyons cependant forcés d’agir comme si telle ou telle d’entre elles était certaine. Mais la nécessité de prendre parti pratiquement pour ou contre l’une d’entre elles n’ajoute ni n’enlève un iota à sa probabilité. Je ne comprends pas comment un penseur aussi profond et aussi parfaitement sincère que M. Renouvier ne s’est pas rendu sur ce point qui n’est pas lié nécessairement au reste de sa doctrine[2]. Il en a été réduit à soutenir cette étrange proposition que « la distinction du vrai et du faux dans la conscience est impossible, en tant qu’on regarde des jugements contradictoires entre eux comme imposés par la nécessité » ! Et comme M. Fouillée la retourne contre lui, car il est clair que la distinction est tout au moins aussi difficile, si on regarde ces jugements comme statués par un libre arbitre, M. Renouvier répond que « la vérité se discerne pour le partisan du libre

  1. Voy. Psychol. rationnelle, tome II, p. 41.
  2. Me défiant d’un premier jugement, je viens de relire toute la réplique de M. Renouvier (Crit. philosoph., 12e année, tome Ier, p. 401). Je n’y puis trouver en faveur de sa thèse aucune raison, si ce n’est peut-être celle-ci : que l’examen des affirmations contraires suppose qu’elles sont « une matière d’option libre », ce qui est une nouvelle forme du sophisme paresseux. Je ne trouve pas non plus d’autre raison dans les Discours laïques (p. 132) de M. Secrétan, où l’on peut voir, soit dit en passant, que le philosophe de Lausanne n’a point emprunté cette théorie à M. Renouvier. Le germe s’en trouve au contraire dans ses travaux antérieurs. Voy. Recherches de la méthode, 1857.