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DARLU.la liberté et le déterminisme

Et l’on entendrait volontiers sur ce point ainsi défini les explications des philosophes mathématiciens qui d’ailleurs démontrent fort utilement pour l’édification des profanes l’impossibilité d’appliquer telle formule mathématique à tous les ordres de faits. Car c’est autre chose de contester l’extension d’une loi particulière à des faits d’un autre ordre, autre chose de contester que les faits d’un ordre quelconque se produisent suivant une loi.

Pour développer l’idée de déterminisme, on peut se placer au point de vue du déterminisme mécanique, en le supposant applicable à la rigueur aux phénomènes physiologiques, comme il l’est à certaines classes de phénomènes physiques. À ce point de vue, l’homme n’est qu’un agrégat de matière dont les actes résultent nécessairement des mouvements des parties de l’agrégat incessamment modifiées par leurs réactions mutuelles et par l’action du milieu extérieur. Mais il s’agit de spécifier cette proposition générale pour y faire entrer les distinctions que présentent en fait nos diverses actions, et notamment la différence capitale de l’acte réflexe et de l’action volontaire. Car de dire en général que la volition est un acte réflexe accompagné de conscience, c’est revenir à la proposition générale qui nous sert de point de départ, « l’homme est un agrégat de matière, etc., » en laissant échapper la différence spécifique des faits que l’on considère. La psychologie physiologique est forcée de s’en tenir à ces généralisations superficielles, car lorsqu’elle essaye de pénétrer dans le domaine du mécanisme moléculaire où se produisent ces transformations d’énergie qui constituent tour à tour une impulsion, un acte instinctif, une résolution, elle se trouve en présence d’une matière d’une complexité presque inconcevable et dont les modifications élémentaires sont d’un ordre de grandeur également inconcevable. Cependant ne serait-il pas conforme aux principes de la psychologie physiologique de laisser de côté le phénomène matériel quand il échappe décidément à nos prises, pour considérer l’état de conscience qui en est l’équivalent ? Précisément parce que l’état de conscience n’est pas un phénomène proprement dit, différent du mouvement de la matière nerveuse, mais qu’il en est seulement une expression singulière, une traduction, selon la comparaison bien souvent reproduite, on peut et on doit y recourir, en se réservant de transporter dans le texte original, par une interprétation convenable, les enseignements que la traduction aura fournis. Toute observation psychologique a donc une sorte de vérité, et elle prépare des matériaux au physiologiste. On ne voit pas d’ailleurs quel autre parti pourrait prendre le déterministe qui se propose de définir les conditions de la volonté humaine, que de s’attacher d’abord au fait de la volition