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tel qu’il se présente à la conscience. À ce point de vue, on peut dire d’une manière très générale, mais à peu près exacte, ce semble, qu’il consiste dans la détermination d’un acte par l’idée du but de cet acte. Peu importe d’ailleurs qu’à l’idée ou motif se joignent toujours des mobiles, et qu’à l’action des mobiles s’ajoute encore l’action du caractère, « le facteur personnel », du moment que l’idée entre comme une condition dans l’ensemble des causes de l’acte. Arrêtons-nous donc à ce fait la détermination d’un acte par une idée, ou motivation, pour examiner le caractère de ce déterminisme spécial.

On a souvent invoqué dans ces derniers temps comme une preuve de l’illusion du libre arbitre certains exemples de suggestion magnétique où le patient cédant sans le savoir à une influence toute-puissante croit agir de lui-même. On peut y voir en effet une illustration intéressante de la maxime spinoziste : « L’ignorance des causes de nos actions fait toute notre liberté. » Mais on devrait être, ce semble, frappé bien davantage de la merveilleuse disposition que l’organisme y révèle à se laisser pénétrer par les idées, et de cette puissance de l’idée, si singulière au point de vue mécanique. Quelques vibrations de l’air retentissent à l’oreille et apportent au cerveau du sujet des paroles comme celles-ci : « Témoignez de l’amour ou de la haine à cette personne… Revenez tel jour… Calmez-vous… Soyez laborieux… », et ce léger ébranlement suffit pour déterminer une série d’actes complexes et coordonnés, souvent même en opposition avec la nature ou les dispositions habituelles de la personne qui les accomplit[1]. De telles expériences transforment l’homme en une

  1. À ce propos, et quoique ce ne soit pas de mon sujet, je demande à M. le Directeur de la Revue la permission de proposer une question dont j’attendais depuis longtemps que quelqu’un prit sur lui de saisir le public philosophique. A-t-on le droit de faire des expériences d’hypnotisme, même quand la personne qui en est le sujet s’y prête par un consentement exprès ? On peut craindre que ce consentement ne soit pas toujours obtenu loyalement ; car les personnes qui servent habituellement pour ces expériences sont livrées sans défense aux entreprises de ce genre par la faiblesse de leur esprit et l’infériorité de leur condition sociale. On peut craindre qu’il ne soit obtenu que d’une manière générale et non pour chaque épreuve, et particulièrement pour celles qui sont dangereuses ou douloureuses, et en fait beaucoup d’expériences excluent la possibilité d’un consentement préalable. On peut craindre surtout qu’il cesse d’être libre après la première ; car le propre de ces pratiques est d’asservir entièrement le sujet à l’expérimentateur. Mais je n’examine pas ces difficultés ; je suppose le consentement libre et éclairé du sujet, et je demande s’il donne à un savant le droit de faire des expériences sur une personne humaine. On admettra sans doute que le consentement d’un homme de bonne volonté ne donnerait à personne le droit de pratiquer sur lui des vivisections. Or, les pratiques du magnétisme sont des expériences à la fois psychologiques et physiologiques. Elles modifient profondément la perception, la mémoire, la sensibilité, le moral tout entier ; elles modifient certainement dans la même mesure le système nerveux ; en se répétant elles créent des dispositions habituelles proba-