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DARLU.la liberté et le déterminisme

sorte de marionnette dont le fil est aux mains de l’expérimentateur. Mais ce fil est une idée ! En mettant à nu le fait de la détermination d’un acte par une idée, elles illustrent surtout cette grande vérité que la psychologie physiologique méconnaît presque nécessairement : les actions de l’homme résultent moins de son organisation physique que d’un milieu intellectuel qu’il porte dans son cerveau et où s’expriment l’ensemble des faits sociaux et jusqu’à un certain point l’ensemble des faits cosmiques. Cl. Bernard a montré que plus l’organisme se perfectionne, plus il devient indépendant du milieu extérieur proposition d’un haut intérêt en physiologie. On peut en rapprocher cette proposition fondamentale en psychologie : plus le cerveau se perfectionne, plus son action devient indépendante de l’organisme.

Considérons d’abord le cas le plus simple[1], celui où l’idée a immé-

    blement ineffaçables. M. Beaunis a montré qu’elles ne sont rien moins qu’une méthode d’expérimentation psychologique ; il faut aller jusqu’au bout de cette idée : elles sont une méthode d’expérimentation psychologique parce qu’elles décomposent la personnalité. En elle-même, et comme par définition, une telle méthode ne fait-elle pas violence aux droits de l’âme humaine ? On dira peut-être qu’il n’y faut voir qu’un traitement médical dont l’emploi est aussi légitime que tout autre. Sans nul doute, mais aux deux conditions suivantes : que le traitement soit prescrit et dirigé par un médecin, qu’il ne comporte aucune action qui n’ait pour but la guérison du malade, c’est-à-dire qu’il exclue toute expérience : conditions universellement acceptées dans la pratique médicale. Or, nous n’entendons parler que d’expériences faites par des amateurs, pour voir. M. Delbœuf nous confesse qu’il emploie ses vacances passées à la campagne à chercher autour de lui de jeunes et robustes paysannes pour les soumettre à ses recherches. M. Pierre Janet nous décrit la manière dont il a créé de toutes pièces un dédoublement de la personnalité. M. Bergson nous raconte comment il a greffé un second sommeil magnétique sur un premier chez un adolescent (!) que lui avait passé un autre amateur de la ville. Ces expériences rendues publiques autorisent les autres. L’intérêt de la science qui les a inspirées sert de prétexte, dans la fureur d’hypnotisme qui sévit en ce moment en province comme à Paris, à une curiosité malsaine, ou, pis encore, à un charlatanisme intéressé et sans scrupules. Chacun de nous en peut citer des exemples. Or, l’intérêt de la science ne peut à lui seul créer un droit. La recherche scientifique est un exercice de notre activité qui peut avoir comme tout autre ses entraînements et ses égarements, et qui doit comme tout autre recevoir ses règles de la conscience. Après avoir usé sans compter de la vie animale pour ses fins propres, elle peut être tentée d’user de même de la vie humaine. C’est aux philosophes précisément qu’il appartient de maintenir la juridiction de la morale sur les œuvres de la science. Ce sont eux qui ont enseigné aux sociétés modernes ces belles formules qui consacrent l’inviolabilité de la personne humaine. C’est à eux de les rappeler, lorsqu’elles paraissent méconnues. Que les philosophes dont je citais les noms en soient juges. Est-il permis de mettre en balance l’intérêt d’une découverte avec le danger d’affaiblir dans la conscience publique le sentiment du respect religieux qui est dû à l’âme humaine chez tous les hommes également, même ou surtout chez les plus humbles ?

  1. Cf. Lange, Histoire du matérialisme, trad. franç., tome II, p. 389 et la note p. 669. Il me semble que les réflexions qui suivent ajoutent quelques conclu-