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DARLU.la liberté et le déterminisme

à un simple jeu de concepts, mais il emprunte en partie sa subtilité à la nature des choses. Aussi est-il également embarrassant de l’écarter et de l’accepter. Ce qu’on y a objecté de plus pressant, c’est que l’idée de liberté qui nous rendrait libres serait elle-même déterminée[1]. Mais c’est précisément la thèse de M. Fouillée : il a prétendu montrer que le déterminisme lui-même produit la liberté réelle de la volonté. Telle est l’idée qu’il faut examiner. Pour cela, il est nécessaire de définir précisément la liberté dont il s’agit ici, et de distinguer, en faisant subir à la pensée de l’auteur une certaine violence, deux idées qu’il s’est toujours refusé à séparer et qu’il a conçues comme les deux moments successifs de la liberté, l’idée de l’indéterminé et l’idée de la perfection morale. Il semble cependant incontestable que si la liberté ne désigne que l’idéal de la moralité, l’objet même de la discussion s’évanouit ; et nous restons en présence du déterminisme moral tel qu’il a été défini plus haut. Si, au contraire, l’idée de la liberté est conciliée avec l’idée du déterminisme, c’est qu’elle désigne un contraire du déterminisme, à savoir une indétermination quelconque. Telle est donc la question précise qui se présente : « Y a-t-il dans la conscience humaine une idée de l’indéterminé qui se réalise elle-même ? »

Et d’abord comment faut-il concevoir cette réalisation de l’idée ? M. Fouillée croit-il que l’idée se réalise comme un idéal qui détermine des actions appropriées ? C’est ainsi qu’il l’a compris sans doute à l’origine, et peut-être l’affirmerait-il encore aujourd’hui. Ce n’est cependant pas la théorie qu’il a développée depuis la première édition de sa thèse, celle qu’il expose à maintes reprises dans la deuxième édition. L’idée de liberté est devenue pour lui l’idée de la force des idées, et elle se réalise, en tant qu’idée-force, en se transformant en un mouvement de translation. « Il y a en psychologie un principe capital. Toute idée, surtout l’idée d’une action possible, est une image, une représentation intérieure de l’acte ; or la représentation d’un acte, c’est-à-dire d’un ensemble de mouvements, en est le premier moment, le début, et est ainsi elle-même l’action commencée. Si cette idée était seule, elle se réaliserait en se concevant[2] ». Ailleurs[3] : « Toute idée est une action réfrénée, bref un mouvement de tension qui se changerait toujours en mouvement de translation s’il n’était contrebalancé par d’autres ». L’idée de liberté est donc comme les

  1. Voy. Revue philos., tome XVI, p. 613, un article très serré de M. Secrétan. Le plus solide de ses arguments me parait être celui qui est signalé dans le texte.
  2. La liberté et le déterminisme, p. 3.
  3. id., p. 162. Cf. p. 75.