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sentent comme indéterminés. Et, d’autre part, l’illusion du libre arbitre ne s’explique pas par l’ignorance des causes de l’acte, parce que l’ignorance de la cause, à elle seule, ne peut produire l’idée de l’indétermination de l’acte. Au contraire l’ignorance des causes de l’action est elle-même l’effet de cette illusion. La conscience qui se représente comme indéterminé l’avenir dont l’idée détermine ses actes ne pourrait concevoir les causes de son acte comme absolument déterminées de telle ou telle manière. Il serait donc contradictoire qu’un être, quel qu’il soit, fût-il parfait, s’il agit volontairement, c’est-à-dire en vue de l’avenir, pût connaître parfaitement les causes de son action. Le sentiment du libre arbitre tient en réalité à la nature de la représentation. Il ne trouve son explication que dans une théorie exacte du déterminisme de la volonté.

Peut-être ce qui précède suffit-il à donner l’idée de ce que peut être cette théorie. Les principes en ont été posés par Leibnitz. Il ne me semble pas que l’exposition en ait été achevée après lui. C’est encore à M. Fouillée qu’elle doit ses plus importants développements qui resteront, si je ne me trompe, acquis à la philosophie. Elle ne fait pas cependant l’objet de sa thèse. M. Fouillée a voulu concilier le déterminisme avec la liberté ; nous pouvons maintenant examiner l’idée qu’il a proposée dans ce but.

IV

Peut-être ses réflexions ont-elles eu leur point de départ dans ce simple argument d’école : « Nous croyons être libres, donc nous le sommes. » En y réfléchissant, M. Fouillée a cru s’apercevoir que, si nous ne le sommes pas, du moins nous pouvons le devenir, et il a conçu cette hypothèse si ingénieuse, qu’il a étendue depuis à tous les faits de l’ordre moral[1] : l’idée de liberté se réalise nécessairement ; elle n’est d’abord qu’une idée abstraite et fictive ; elle devient nécessairement une réalité. L’argumentation peut se réduire aux termes suivants : « À l’origine, notre activité est absolument déterminée ; mais notre ignorance de la totalité de ses déterminations produit en nous l’idée d’une indétermination partielle. Cette idée est fausse à l’origine ; mais, une fois formée, elle agit comme toute idée et détermine une indétermination réelle de la volonté à l’égard de toute espèce de cause ou de motif déterminant. » L’argument est subtil, aussi subtil que ceux de Zénon, et, comme eux, il n’est pas dû

  1. M. Fouillée parle de même de la réalisation de l’idée du droit, de l’idée du moi, et même de l’idée de responsabilité.