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mination des actes n’enveloppe pas plus un acte qu’un autre, elle ne peut être la raison, le motif d’aucun acte ; donc elle n’est pas une raison d’agir. « On ne veut pas sans raison, dit M. Fouillée, mais on peut vouloir pour la raison de vouloir[1]. » La raison de vouloir n’est pas la raison de vouloir telle chose ; elle n’est donc pas une raison : l’idée implique contradiction. Il implique de dire que l’idée de l’indéterminé détermine jamais un acte. Donc la liberté n’est pas un idéal, elle n’est pas un but, elle n’est pas une raison, et conséquemment il n’est pas possible d’en concevoir la réalisation. Je n’oublie pas d’ailleurs que M. Fouillée affirmerait aussitôt qu’il n’entend nullement par « la volonté libre » un vouloir indéterminé, mais bien la personnalité morale, la perfection, l’union des personnes par l’amour, etc., toutes idées qui sont en effet des raisons et des fins. Mais il n’en est pas moins permis de conclure qu’il n’y a pas dans la conscience humaine une idée de l’indétermination qui se réalise elle-même ou qui détermine de quelque manière que ce soit une indétermination réelle de la volonté.

Faut-il croire que cette idée ne corresponde à rien de réel dans la conscience et dans la nature des choses ? Tel n’est pas, du moins, le résultat de cette discussion. Elle tend à prouver seulement que la conciliation du déterminisme et de l’indéterminisme ne se peut concevoir comme M. Fouillée l’a supposé. D’autres conciliations peuvent être tentées. Kant, de qui procèdent toutes ces recherches, en a proposé une à laquelle il est encore aujourd’hui permis de se tenir. Il semble que M. Fouillée ait été entraîné dans une voie sans issue précisément par sa méthode de conciliation, ou, pour mieux dire, par sa manière de concevoir la conciliation des idées. On peut, en effet, concilier des principes différents soit par un procédé d’identification, en montrant qu’ils dépendent d’un commun principe, soit par un procédé de distinction, en montrant qu’ils sont vrais à des points de vue différents. M. Fouillée suppose toujours et cherche à déterminer un point de convergence des idées contraires. Pour le déterminisme et la liberté, par exemple, il les a rapprochés en les plaçant sur le même plan, sur le terrain des phénomènes mécaniques eux-mêmes, et il les a fait entrer au même titre dans une même idée où il a cherché à les unir, le concept explicatif de la relation causale. Il en est résulté que sa thèse, travaillée par une sorte de contradiction intérieure, a dû se transformer peu à peu en faisant effort pour exclure tout élément d’indétermination, et pour ne retenir à la fin qu’une idée de spontanéité, de développement universel. C’est le changement qui

  1. La liberté et le déterminisme, p. 225.