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B. PEREZ.l’âme de l’embryon, etc.

même. Enfin, quand l’enfant cherche de donner le pied comme il vient de donner le soulier, cet acte ne lui est-il pas suggéré par le ton impératif et par l’application du mot donne qu’il vient de faire ? N’oublions pas que l’enfant n’a que dix-neuf mois, sait encore très imparfaitement sa langue, et n’a qu’une volonté à demi impulsive.

Que M. Preyer me pardonne d’insister sur ces explications hypothétiques, un peu différentes des siennes. La question sur laquelle je hasarde ces quelques doutes est, au dire des hommes compétents, une des plus importantes dont la psychologie infantile ait à s’occuper. « Là, dit M. Morselli, devraient se tourner avec le plus d’attention les observations objectives des psychologues et des éducateurs : je pense, en effet, que les faits psychologiques convenablement étudiés finiraient par abattre le vieil et croulant édifice de la << conscience » comme elle est entendue dans les vieilles écoles[1]. » M. Preyer a ouvert la voie, où il s’agit d’entrer avec une prudente audace. Les exemples assez nombreux qu’il a condensés en quelques pages sont de nature à appeler des observations nouvelles, et d’autant mieux que leur interprétation satisfera moins complètement les esprits difficiles. S’il n’a pas toujours saisi la vraie raison des faits, il aura suggéré l’idée d’en chercher d’autres. C’est uniquement en vue de cet intérêt supérieur que je me permets d’appuyer sur mes réserves, moi qui aurais autrement si peu le droit d’en faire.

M. Preyer nous montre son enfant âgé de dix mois, qui, après avoir frappé la table avec force, tout à coup se frappe lui-même sur la bouche, puis, quelques instants après, se donne un coup sur la tête, au-dessus de l’oreille. Le père croit remarquer que l’enfant fait une distinction entre se frapper soi-même, sur sa tête résistante, et frapper un objet extérieur et dur quelconque. Rien ne m’assure que l’enfant ait eu cette pensée en ce moment pour la première fois, et qu’elle ne se soit pas déjà vaguement ébauchée dans son esprit. Au treizième mois, il se frappe souvent la tête, « comme pour faire des expériences ». J’admets qu’il fasse ainsi en réalité des expériences, même très variées. En avons-nous le droit de les apprécier dans le sens de M. Preyer ? « Il fait ainsi, sans doute, des expériences sur la résistance de son propre corps, peut-être sur la direction de la tête, car à chaque coup de pouce contre la tempe, il se fait un bruit sourd. Peu de temps auparavant l’enfant a découvert l’objectivité des doigts grâce à des morsures involontaires et douloureuses ; au quinzième mois même, il se mordait encore de telle façon qu’il criait de

  1. Une enquete psychologique sur l’enfance, p. 10 ; art.  publié dans la Rivista pedagogica italiana, et qui a paru en brochure chez Camilla et Bertolero, Turin, 1887.