offrent le plus tranchés les caractères que l’on admire ou que l’on étudie, et, l’imagination aidant, à créer des types plus complets que ceux que l’observation présente, à développer harmoniquement les caractères du mal, à faire un idéal du mal, et à le prendre pour un objet d’admiration, pour une cause d’émotions agréables. Un pathologiste trouvera que les maladies sont belles, un psychologue ou un moraliste pourra arriver à se plaire à l’idée des dépravations les plus complètes.
J’ai dit qu’il fallait pour en venir là supprimer une partie de sa nature, imposer silence pour un moment à ses tendances, mais la nature ne se laisse guère supprimer complètement, et les tendances que l’on comprime ne laissent pas d’exercer quelque influence sur le fonctionnement de notre esprit. Et c’est là justement ce qui fait que l’attrait du mal est un de ceux sur lesquels on se blase le moins, un des plus troubles, mais des plus pénétrants, des plus poignants si je le puis dire. Ce dédoublement de l’observateur, du contemplateur et de l’homme social est éminemment favorable à la naissance d’un sentiment subtil et indécis. Sans doute si les instincts moraux s’éveillaient trop fortement, la contemplation du mal ne causerait plus que de l’horreur ou du dégoût, mais si ces instincts moraux venaient à disparaître tout à fait, le mal deviendrait indifférent, et n’offrirait plus ce ragoût particulier qui le distingue. Croyez que la dame qui souhaitait avoir commis un péché mortel en savourant son chocolat était une croyante ; pour des athées, le péché mortel n’aurait pas de piquant. Si quelques-uns paraissent se complaire au blasphème, au repas du vendredi saint, et autres facéties, c’est qu’ils veulent choquer des adversaires ou qu’ils n’ont pas tout à fait dépouillé le vieil homme et qu’ils ont plaisir à contrarier leurs anciennes habitudes qui subsistent encore assez faibles pour que cette contrariété ne soit pas une peine, assez forte pour qu’elle provoque un plaisir. Aussi des croyances religieuses ou morales assez arrêtées ne sont pas un obstacle à éprouver le plaisir du péché non pas commis, mais entrevu et rêvé, et même l’horreur du mal est une condition favorable à éprouver ce plaisir quand elle est suffisamment enrayée par la contemplation esthétique ou par l’étude sans être tout à fait anéantie. Quelque paradoxal que cela puisse paraître, cela s’explique bien, il me semble, par les principes que nous avons reconnus. L’expérience le confirme d’ailleurs. Ainsi plusieurs des écrivains qui peignent évidemment les plus fortes dépravations avec un certain plaisir d’artiste sont des catholiques ardents et que je crois fort sincères dans leur horreur du mal. M. Barbey d’Aurevilly, M. Joséphin Péladan sont des croyants : le premier écrivit à Baudelaire après les Fleurs du mal :