Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIII.djvu/626

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plutôt une crainte de l’être mal, — c’est que la décadence et l’amour du mal se justifient quelque peu dans un cas particulier, celui où le monde serait décidément mauvais, et où le pessimisme aurait raison. Si en effet ce qu’il y a de plus élevé, la raison, la justice ne peuvent triompher en ce monde, qu’y a-t-il de mieux à faire que de le détruire ? Et par là on peut être amené à considérer que la fin justifie en partie ou quelquefois les moyens et que ce qui concourt à la destruction du monde n’est pas sans doute foncièrement immoral. La décadence est une sorte de progrès, puisqu’elle tend à faire disparaître un mal, de même que la maladie d’un criminel peut être un bien pour la société. — Cependant l’amour du mal ne peut être, en tout cas, qu’un moyen d’ordre moralement inférieur. Un criminel à qui son crime nuit, un débauché que la débauche tue, donnent un spectacle moral, mais leur amendement ou leur suicide serait préférable. On peut édifier sur le pessimisme une morale élevée bien éloignée de l’amour du mal et de la décadence. Quoi qu’il en soit la question de la valeur du monde et de la vie n’est pas étrangère à l’appréciation qu’on peut porter de l’amour du mal, c’est qu’elle joue un rôle important dans la morale. Nous n’aurons de morale pratique solide que quand cette question sera résolue, — elle est peut-être insoluble, mais cela m’empêche de trouver qu’elle soit aussi ridicule que certains ont l’air de le croire.

Fr. Paulhan.