Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIII.djvu/625

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plus saine et moins troublée. Mais supposons que le crime de cet homme ait été de vouloir renverser des institutions nécessaires à l’existence de cette société, mais incapables de produire une société vraiment grande, aussitôt le bien de la société nous semble un mal par rapport à un bien réel ou possible, plus large et plus élevé. Ainsi de suite à mesure que la complexité et l’unité des rapports envisagés s’accroissent. Nous pouvons donc déplorer la disparition du faible, si ce faible représentait quelque chose de supérieur à ce qui le remplace, mais à cette condition seulement.

Mais que représente la « décadence » et quelle est la valeur de l’amour du mal, c’est là ce qu’il faut voir. Or la décadence ne représente qu’une chose, la ruine non pas d’une société particulière, mais de toute société en général. Un homme dont l’organisme est « en décadence » peut être achevé par un accident, par une voiture qui lui passe sur le corps, mais il mourrait sans cela, naturellement. Athènes et Rome aussi, décadentes, auraient péri de mort naturelle sans les Macédoniens et les Barbares. Toute société en décadence est condamnée à périr. Sans doute on peut supposer des sociétés subsistant de manières bien différentes et avec des mœurs opposées. Sans doute des lois qui nous semblent nécessaires à nous sont relatives, et d’autres sociétés pourraient subsister sans elles. Mais ce qu’aucune ne pourrait faire ce serait de vivre en décadence, puisque la décadence est précisément la ruine de ces phénomènes d’ensemble, de ces rapports organiques qui sont la vie même des sociétés. L’amour du mal ne peut que tendre à dissoudre, à détruire tous les liens sociaux, et il ne faudrait pas objecter qu’il s’agit d’un amour purement platonique. Tout sentiment, toute idée indique une tendance qui n’attend que l’occasion de déterminer l’acte. « Pour m’être complu au verbe du mal, dit Mérodack dans le Vice suprême, j’arriverai peut-être à le faire. » C’est une chose dangereuse que la rêverie portée avec délices sur la dépravation et les raffinements du vice. Évidemment le danger n’est pas toujours mortel, et comme je l’ai dit, l’amour du mal suppose encore de bonnes tendances, mais il tend à les affaiblir, et à ne les laisser subsister qu’avec tout juste la force voulue pour que l’idée du mal ait quelque piquant. Que quelques psychologues, que quelques moralistes plongent jusqu’au fond du bourbier, cela rentre dans leur métier, qu’ils arrivent à s’y complaire, cela est difficile à éviter, mais comme le révérend père Gaucher, qui se damnait au profit de la communauté, ils doivent au moins en faire profiter les autres, et non les griser de liqueur ou de vice. Encore seront-ils sages de ne pas se griser eux-mêmes.

Et voici que j’ai comme un remords d’être trop vertueux, ou