Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIII.djvu/638

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
628
revue philosophique

entre le Deutéronome et le prophète Jérémie. Un des arguments sur lesquels on se fonde pour attribuer le cinquième des livres du Pentateuque au temps du roi Josias est, en effet, la parenté d’idées et de style qu’il offre avec Jérémie. Or Jérémie est contemporain de Josias. D’où il suivrait que le Deutéronome ne saurait, lui non plus, être éloigné de l’époque où nous avons vu qu’on incline généralement à le placer. Ces propositions, elles aussi, méritent d’être soumises à une sérieuse vérification. En les étudiant, nous avons été amené à considérer que l’authenticité du prophète Jérémie était moins bien établie qu’on ne l’admet d’ordinaire et que l’argument tiré de la parenté du livre attribué à ce prophète avec le Deutéronome n’est pas décisif.

Les questions soulevées à l’entour du premier chapitre de la Genèse et du récit de la Création sont abordées d’une façon assez originale dans un ouvrage volumineux de M. de Chambrun de Rosemont, intitulé : Essai d’un commentaire scientifique de la Genèse[1]. L’auteur se préoccupe de l’accord entre le texte biblique et les découvertes de la géologie. Quiconque a pratiqué ces textes sait qu’avec un peu de bonne volonté on peut y mettre ce qu’on veut. M. de Chambrun, dont la bonne foi est complète et qui fait preuve de connaissances scientifiques étendues, y introduit pour sa part la pluralité originelle des races humaines ou des centres de création. Quand nous disons qu’on peut mettre dans le récit biblique tout ce qu’on désire, nous ferions bien d’ajouter : quand on ne veut pas s’en tenir à son sens naturel tel que l’établit l’exégèse grammaticale et littéraire. C’est là ce qui ôte une grande partie de leur valeur aux essais d’harmonistique qui se sont multipliés depuis le commencement de ce siècle et parmi lesquels celui que nous avons sous les yeux tiendra honorablement son rang.

J’ai vu avec plaisir que M. de Chambrun citait volontiers l’opinion de F. Lenormant. Je regrette qu’il n’ait pas appris de lui que la foi chrétienne à laquelle il est sincèrement attaché n’est nullement solidaire de l’accord de la géologie scientifique avec le premier chapitre de la Genèse. M. Lenormant a très bien établi que la valeur religieuse d’un morceau tel que celui-là consistait dans l’idée de la toute-puissance divine qui s’y exprime avec une éloquence si haute et si sobre dans la progression de l’œuvre créatrice. Cela dit, laissons la géologie aux géologues, comme il appartient aux exégètes et aux exégètes seuls d’assigner aux différents morceaux du texte biblique leur date et leur sens en cherchant le milieu qui a pu convenir à leur composition. Dans l’espèce, l’admirable page qui ouvre la Bible est, selon nous, un produit de l’esprit hautement philosophique qui distingua les écoles juives aux temps du second temple[2].

  1. In-8o, 526 pages.
  2. Cet article était déjà composé quand nous sont parvenus deux volumes destinés à y figurer. Pour n’en pas trop ajourner l’étude, nous voulons en dire immédiatement quelques mots, renvoyant d’ailleurs nos lecteurs à une appréciation de l’un et de l’autre qui paraîtra prochainement dans la Revue critique. —