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sorte de scandale cherché les idées les plus éloignées des tendances du siècle, à frapper le roc pour en faire jaillir les sentiments de la moralité la plus ardente et de la religiosité la plus pure ; d’une volonté qui n’aime de la justice que la charité, et de la béatitude que la sainteté, sans les espérances ou les aspirations ultramondaines.

Une morale, et par elle une religion, l’une et l’autre tirées d’une « philosophie de l’inconscient », voilà l’œuvre même.

Cette sorte d’ « éthique » modernisée s’élève — et c’est là un défaut — sur un corps de démonstrations ardues, de discussions complexes, où l’auteur, comme un néophyte, ne s’est épargné nulle fatigue (dût le lecteur s’en ressentir) ; où la psychologie, que le titre annonce, ne fait que préparer les voies aux spéculations les plus diverses : il semble que ce ne soit pas assez de l’examen d’un problème sans tous les attenants, et l’on n’ambitionne de vaincre les systèmes que pour les absorber dans un autre. C’est que, nous dit M. E.-R. Clay, les systèmes jusque-là reçus sont des logiques trop strictes qu’il faut élargir (voy. p. 628), pour y substituer la logique plus ouverte, plus libérale, et surtout pratique, du sens commun. Ou bien il n’y a pas de preuve, ou le sentiment de la conscience générale est le signe de l’évidence suffisante, et c’est cette conscience générale qu’il faut croire sur la nature de l’âme, sur la liberté morale et la possibilité de la vertu.

Ce serait se méprendre que de confondre, dès ces indications, la tentative et la conception de M. E.-R. Clay avec la Philosophie d’après les principes du sens commun de Th. Reid, ou avec l’Essai de Lamennais. L’esprit de minutie dans l’analyse de détail, l’observation microscopique voile souvent au savant ou au philosophe ce que sent et saisit d’instinct la vue naturelle : le spécialiste d’un métier ou d’une science voit-il toujours mieux et plus juste que le peuple ? S’il y a une conscience populaire, sociale, et mieux une « conscience universelle », comme l’affirmait Proudhon, une « judiciaire collective » qui déroute les historiens et les juristes, pourquoi cette conscience universelle n’aurait-elle pas ses modes d’affectivité et ses œuvres, et par suite sa critique propre ? La religion, la justice, de même que le travail, la poésie et l’art, disait le même Proudhon, sont des manifestations de la conscience universelle[1]. C’est une pensée de ce genre qui fait l’esprit et le sens de l’Alternative.

Il est bon, pour l’édification du lecteur, de céder dès maintenant la parole à M. E.-R. Clay on saisira mieux de la sorte l’état de crise, le terme n’est pas trop fort, où se débat son intelligence. Citons le passage de l’introduction (pages 31-35) où il explique son dessein :

« Jusqu’à ce jour, écrit-il, les hommes se sont laissé duper par ce principe reçu, qu’il y a là [dans les actes dus à l’instinct intentionnel] une volition vraie, que, dans un cas pareil, nous sommes des agents libres. Et cette illusion enveloppe presque tout le champ où se passe la

  1. La Guerre et la Paix, passim.