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ANALYSES.f.-e. abbott. Scientific Theism.

que l’esprit de l’homme sai}sit plus ou moins complètement et dont la nature s’impose du dehors à la pensée. Il ne leur était pas venu que celle-ci fit son objet et ne fit rien que contempler ses propres modes quand elle croit percevoir des choses. Les premiers subjectivistes furent les sophistes, pour qui la pensée individuelle est la mesure de la réalité et du vrai (πάντων μέτρον ἄνθρωπος). Mais Socrate combattit et, pour des siècles, détruisit le subjectivisme des sophistes. Platon, Aristote, les épicuriens, les stoïciens sont, à des degrés et des titres divers, réalistes. Pyrrhon lui-même et ses disciples plus ou moins fidèles, Arcésilas, Carnéade, Ænésidème, Sextus, ne nient pas l’existence de la chose en soi ; ils n’affirment pas que dans la connaissance l’esprit ne saisit que ses représentations ; ils disent seulement que les opinions humaines touchant la nature des êtres sont trop variables et trop contradictoires pour qu’aucune puisse être prise comme expression adéquate de la vérité. Quant aux Alexandrins, leur théorie de l’extase suffit à les purger de tout soupçon de subjectivisme.

Les pères de l’Église sont des réalistes intempérants ; réalistes aussi les premiers scolastiques. Les uns le sont à l’extrême et, comme Scott Erigène ressuscitant Platon, font des universaux des substances qui existent indépendamment et à part des individus. Les autres le sont avec plus de modération et, à la suite d’Aristote, voient dans les universaux des substances, mais des substances dépendantes et inséparables des choses particulières. L’orthodoxie mit l’intolérance et la persécution au service du réalisme ; la révolte du nominalisme fut alors nécessaire et bienfaisante pour sauvegarder la liberté de la pensée humaine ; mais son œuvre est depuis longtemps achevée, et c’est au réalisme scientifique que l’avenir appartient.

Le réalisme scientifique, telle est, pour M. Abbott, la philosophie, ou plutôt la méthode qui doit remplacer dès aujourd’hui toute la métaphysique moderne issue de Kant et du nominalisme. Qu’est-ce qu’il entend par là ?

« La science moderne (ch. I) consiste en une masse de propositions concernant les faits, les lois, l’ordre et la constitution générale de l’univers. Elle est le produit de l’activité intellectuelle accumulée et combinée de la race humaine, et ne pourrait pas plus avoir été produite par un seul individu que le langage par lequel s’expriment ses propositions. Ces propositions enferment les résultats de l’expérience et de la raison universelles du genre humain, résultats d’où tous les éléments de fantaisie, d’ignorance ou d’erreur personnelles ont été graduellement éliminés dans le cours des âges. » La condition essentielle de certitude pour la science, c’est donc que tous les hommes compétents soient d’accord sur les résultats acquis ; c’est l’acquiescement de toutes les intelligences, convenablement préparées, aux propositions générales qui résument l’expérience universelle.

Mais des propositions expriment des rapports, et des rapports existent entre des termes et en sont inséparables. La science affirme que