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sons sons écrire un sujet après lui avoir donné la suggestion d’une impression sensorielle telle que la couleur rose ou l’odeur de musc, on obtient d’abord une écriture large, dynamogéniée ; peu après, l’écriture se rapetisse progressivement, elle s’épuise en quelque sorte. Par conséquent le parallèle entre les mouvements graphiques et l’effort musculaire se maintient ici. Ce n’est pas tout. Si on laisse l’expérience continuer un certain temps, dans le cas où la première excitation n’a pas été trop violente, l’écriture s’agrandit de nouveau ; en d’autres termes, il se fait une oscillation consécutive dans laquelle l’état prime reparaît, exactement comme cela se passe pour la force musculaire. Cette série d’excitations et de dépressions que présente l’écriture sous l’influence d’une excitation sensorielle continue nous paraît être tout à fait l’analogue de la polarisation motrice, où l’impulsion est remplacée par la paralysie ; ici seulement, la dépression ne va pas jusqu’à la paralysie, parce que l’excitation épuisante n’est pas assez forte.

On peut amener le même épuisement de l’écriture par des suggestions d’états psychiques à caractère déprimant, comme la modestie ou la tristesse. On voit alors d’emblée les caractères graphiques se rapetisser.

Les expériences précédentes nous montrent toutes que les mouvements coordonnés de l’écriture suivent, chez des sujets hystériques, les mêmes modifications que la puissance musculaire ; ces modifications peuvent être d’ailleurs classées tout simplement sous les noms d’excitation et de dépression, de dynamogénie et d’inhibition (Brown-Séquard). Les observations précédentes ne s’appliquent qu’aux hystériques ; mais il est probable que l’hystérie rend seulement plus apparents des phénomènes qui existent aussi à l’état normal.

L’excitation et la dépression, tel est le point unique que nous désirions signaler dans cette courte note. Nous reviendrons plus tard sur d’autres modifications de l’écriture. Nous n’avons pas examiné ici la grosse question de savoir si l’écriture permet de diagnostiquer le caractère mental du scripteur ; pour résoudre un tel problème, le seul moyen serait de recourir à la méthode hypnotique ; un expérimentateur ferait écrire son sujet sous l’influence de suggestions diverses ; et ensuite le graphologue, auquel les spécimens d’écriture seraient présentés sans commentaires, aurait à deviner à quelle espèce de suggestion chaque spécimen correspond. L’essai de ce diagnostic permettait de savoir où en est la graphologie contemporaine.

Alfred Binet.