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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/101

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ANALYSES.f. thomas. La philosophie de Gassendi.

instant dans le cours régulier des choses, ce que Gassendi repousse au nom de la science comme miraculeux, c’est qu’elle n’a plus besoin d’intervenir, ayant disposé le mieux du monde les choses une fois pour toutes à l’origine ; c’est aussi et surtout parce qu’elle a en quelque sorte délégué ses pouvoirs à une infinité d’intelligences subalternes, d’âmes, si l’on veut, que Gassendi suppose comme autant de petits artisans, sans cesse à l’œuvre pour faire prendre aux matériaux dont se forment et se nourrissent les corps des plantes et des animaux, la disposition et le mouvement qui conviennent (p. 96, 99, etc.). De telles âmes, matérielles toujours, opèrent jusque dans les minéraux. Quantité de plantes, récemment apportées des Indes orientales et occidentales, semblaient comme autant de témoignages nouveaux en faveur de cette opinion que toutes les plantes sont « sensitives, disait Bernier, ou du moins participantes de quelque sentiment ». Il y a donc, concluait le même Bernier, « une espèce d’âme dans les plantes, et si l’usage ne permet pas qu’on leur donne le nom d’animaux, du moins doit-il, ce semble, permettre qu’on les dise animées ». Les observations de Képler sur la neige étaient alléguées aussi comme des preuves de fait, à l’appui d’une opinion semblable, relativement aux corps bruts. « La neige tombe souvent en forme d’étoiles à six pointes fort égales, ou en forme de roses à six feuilles, et quelquefois même comme six fleurs de lis qui se tiendraient par leurs pointes ; mais qui est-ce qui nous pourra rendre raison d’un si admirable phénomène ? Ne devrait-on point avoir recours à quelque âme de la terre ou du monde, qui par les impressions et les instructions géométriques qu’elle a reçues du souverain maître, fasse cette admirable contexture ? Ne dirons-nous point que la sagesse éternelle se jouant dans l’univers reluit dans cet ouvrage ?… » Enfin les études de l’Anglais Gilbert sur l’aimant publiées tout au commencement du siècle (1600) parurent à bon nombre d’esprits révéler le secret de bien des choses. « Ne sera-t-il pas permis de croire, dira Bernier en 1677, qu’il y ait dans le fer, sinon une âme, du moins quelque chose d’analogue à l’âme, quelque chose, dis-je, qui quoique très ténu et très subtil, puisse toutefois en se lançant avec impétuosité vers l’aimant, entraîner après soi toute la masse du fer, quoique très pesante et paresseuse ? » C’est ainsi que, de proche en proche, l’imagination, autorisée, semblait-il, à demi par l’expérience elle-même, suivait une pente qui la ramenait à l’antique théorie de « l’animation générale ou presque générale » de l’univers.

Nous sommes loin du mécanisme si rigoureux de Descartes, qui réduisait toute intervention de Dieu dans la formation des choses à une simple « chiquenaude » pour mettre la matière en mouvement. Ici le vrai continuateur de Démocrite, c’est Descartes, philosophe spiritualiste d’ailleurs, et le disciple infidèle est Gassendi, bien que matérialiste, ou tout au moins sensualiste, dit-on (un des plus excellents sensualistes, ajoutait Damiron pour réparer cette épithète qu’il regardait presque comme un outrage). Mais, à d’autres points de vue, ne