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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/103

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ANALYSES.f. thomas. La philosophie de Gassendi.

avons un entendement supérieur aux sens, mais bien quelle est l’origine de cet entendement, et surtout quel en est l’objet ? Est-ce un monde à part, un monde de pures idées, qui est au-dessus des choses sensibles comme les conceptions des mathématiciens se trouvent, suivant Descartes, au-dessus des objets matériels et n’en viennent point ? Ou bien n’est-ce pas toujours ce même monde de choses ou d’images qui nous entoure, l’entendement n’ayant pour fonction que d’en découvrir les relations constantes ou les lois ? Sans doute il ne peut le faire que suivant certains principes. Mais laissant de côté la question de savoir d’où ces principes nous viennent, et comment ils se forment en nous sont-ils en eux-mêmes comme des formes vides, qui ne peuvent recevoir d’autre matière que celle qui est fournie par les sens, ou bien leur propre objet, celui auquel ils s’appliquent naturellement, est-il un autre monde, supérieur aux données sensibles ? Or Descartes, avec la distinction radicale qu’il établit entre l’image et l’idée, entre ce qu’il appelle des imaginations, d’une part, et, de l’autre, des intellections pures, posait l’existence de deux mondes séparés, celui des idées étant le propre objet de l’entendement seul, et même, on peut le dire, sa création et son œuvre. Et l’homme ne pourrait connaître les choses, d’une connaissance claire et distincte, qu’au travers de telles conceptions de son esprit, conceptions mathématiques d’ailleurs, dont la géométrie expose le lumineux enchaînement. Tel n’était point, ce semble, le langage de Gassendi, qui donnait comme objet commun et aux sens et à l’entendement les choses mêmes, connues tantôt dans leurs relations accidentelles, tantôt dans leurs rapports nécessaires ; et les idées aussi bien que les images que nous avons en nous correspondent seulement à ces deux sortes de connaissances, mais nous viennent toujours des choses, comme elles ont aussi toujours les choses pour objet, au lieu d’être tirées du fond même de l’esprit.

C’est qu’à vrai dire le but des deux philosophes n’était pas le même. Descartes, uniquement soucieux d’assurer à l’esprit la certitude et l’évidence, se représente le monde tel que ces deux conditions de la science y soient partout réalisables, un monde tout composé d’éléments mathématiques, par conséquent, et il en exclut sans regret ce qui serait obscur à connaître : cela est pour la science comme s’il n’existait pas. Téméraire entreprise qui le contraignait à sacrifier une partie de la réalité, sous prétexte de mieux connaître le reste. Gassendi ne sacrifie rien. Son but est de connaître la réalité telle qu’elle est, tout entière, d’une connaissance claire et distincte, lorsque cela est possible, confuse seulement partout ailleurs. C’est pourquoi il se refuse à ne voir dans les animaux et même aussi dans les corps bruts, qu’un simple mécanisme sans âme, bien qu’il ne se flatte point de bien comprendre la nature et les propriétés de l’âme qu’il leur attribue ; il étudie la partie purement sensible de la connaissance chez les bêtes et aussi chez l’homme avec autant de soin que les opérations plus relevées ; enfin lorsqu’il se croit obligé d’admettre pour celles-ci chez l’homme