Aller au contenu

Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/171

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
161
ADAM.de l’imagination

tâche de l’architecte, pour laquelle le génie est nécessaire, et celle des ouvriers qui travaillent sous ses ordres. Et encore, avant même de disposer les faits dans un ordre lumineux qui fasse apparaître la loi, lorsqu’on s’occupe seulement de les recueillir, n’a-t-il pas avoué qu’on avait besoin d’une certaine sagacité pour cela ? tous ne valent pas la peine d’être choisis, et les bien choisir est une question de flair comme à la chasse[1]. Donc Bacon n’a pas entièrement méconnu le rôle qui appartient dans la recherche des causes à l’intelligence ou à la pensée de l’homme. S’il paraît la repousser souvent avec défiance, c’est lorsqu’il étudie les anciens systèmes, et qu’il voit le mal que, faute d’une bonne direction, l’imagination surtout a causé dans l’étude de la nature ; mais lorsqu’il est ensuite lui-même aux prises avec les difficultés des découvertes scientifiques, il reconnaît qu’on ne saurait se passer de ses services, et il la rappelle, il la fait rentrer dans la science, non pas, sans doute avec honneur et ouvertement, mais un peu honteusement et comme par une porte dérobée. Qu’importe, après tout ! il en sera de l’imagination comme de ces souverains absolus qu’on a chassés d’abord, parce qu’ils ne connaissaient de loi que leur caprice, puis à qui on permet de revenir, mais en leur imposant des conditions : elle devra désormais, tout en conservant un peu de son initiative, se montrer respectueuse de certaines règles qui sauvegardent ici et la réalité et la vérité.

II. — De l’expérimentation (Instantiæ Crucis).

Deux choses dans la méthode scientifique ont entre elles une liaison étroite, comme entre la cause et l’effet : l’intelligence, du côté du savant, et, du côté des objets, l’expérimentation. Celle-ci est une expérience plus ou moins artificielle qu’on exécute à dessein de vérifier une explication imaginée d’abord. Le savant commence par observer ; il laisse venir à lui les phénomènes, il accueille tous ceux qui se présentent. Puis une fois son idée conçue sur leur cause

    dispositionem instantiarum prorsus negligemus, neque discincti hoc aggrediemur ; sed ita instantias collocabimus, ut sibi iuvicem lucem præbeant nonullam. » (S., II, 259 à 260). — Cette Historia sparsa s’oppose à ce qu’il appelle ailleurs Historia designata : « Mandata damus de experimeiitis novis, quantum prospicere animo possumus, aptis ad id quod quæritur. Hæc mandata tanquam Historia designata sunt. » (S., II, 18 et 88 ; ou B., II, 262 et 290.)

  1. De Augmentis, l. V, ch.  ii : « Experientia litterata…, vix pro arte habenda est, aut parte philosophiæ, sed pro sagacitate quadam, unde etiam eam venationem Panis (hoc nomen ex fabula mutuati) quandoque appellamus… Sagacitas potius est et odoratio quædam venatica quam scientia. » (S., I, 623 et 633 ; ou B., I, 252 et 202.)