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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/176

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aspect tout nouveau. Autre chose, en effet, est une observation simple, ou même une expérience, comme celles qu’on vient de voir, pour le profane qui en est témoin, sans entrer dans la confidence des pensées qui la précèdent et qui doivent la suivre, autre chose est-elle pour le savant qui la dirige. Elle fait partie pour celui-ci de tout un ensemble d’idées, elle n’est d’abord qu’une idée elle-même ; mais en même temps, par un rare bonheur, elle peut aussi devenir un fait ; elle trouve place parmi les choses, elle passe au rang de réalité. Et le fait où elle s’incorpore, pour ainsi dire, n’est plus un fait brut et isolé ; en lui l’esprit aperçoit la série d’idées dont il est un des termes, le plus solide de tous, et qui doit de proche en proche communiquer aux autres sa solidité ; il sert désormais de clef de voûte idéale et réelle à la fois, à un édifice élevé d’abord dans la pensée ; c’est un fait devenu lui-même idée, un fait idéalisé. Par là s’accomplit l’union intime de l’esprit et des choses, leur légitime mariage, comme disait Bacon. Par là se réconcilient deux procédés qu’il avait parfois déclarés incompatibles : l’interprétation vraie de la nature, et les vaines anticipations de l’esprit, car si la nature livre son secret, c’est parce que la pensée de l’homme l’a deviné d’abord ; et si les choses se trouvent interprétées, c’est grâce à l’esprit humain qui a devancé leurs réponses par ses propres explications.

III. — Méthode de vérification et méthode de découverte.

L’invention est donc nécessaire au savant aussi bien pour s’élever de la connaissance des faits à quelque hypothèse au sujet de leur loi, que pour redescendre de cette hypothèse à des faits nouveaux qui la confirment. Or ce qui est en nous capable d’inventer, n’est-ce pas l’intelligence, ou plutôt l’imagination[1] ? Le rôle de l’imagination dans les sciences est aujourd’hui reconnu de tous, et on n’est pas surpris d’apprendre, par exemple, que Darwin[2] fit quelque temps ses délices des poésies de Shakspeare et surtout de Milton, ni que Lavoisier songeait dans sa jeunesse à écrire un drame sur la Nou-

  1. C’est l’imagination qui invente, dit-on de tous côtés aujourd’hui, ce n’est pas la raison ; l’imagination est spontanée, la raison est réfléchie. Mais, disait déjà Bossuet, « quand on attribue les inventions à l’imagination, c’est en tant qu’il s’y mêle des réflexions et du raisonnement. » (Connaissance de Dieu et de soi-même, ch.  V, §  8.)
  2. «Jusqu’à l’âge de trente ans environ », dit-il lui-même… « Maintenant, je ne puis supporter la lecture d’une ligne de poésie ; j’ai essayé dernièrement de lire Shakespeare, et je l’ai trouvé si ennuyeux qu’il me dégoûtait. » (Vie et Correspondance de Ch. Darwin ; trad. franc., 1888, t.  I, p. 103.)