montrer quelle est cette unité qui les domine et les gouverne, et justifier l’emploi de ce terme, la monade. Et si l’unité dont il s’agit est une loi, une habitude, ce nom de monade lui convient-il à aucun degré ? Jusqu’à quel point est-il permis de détourner de sa signification primitive un terme défini d’une manière précise par un grand philosophe pour lui faire désigner autre chose ?
En outre, si on définit les êtres en termes de représentation (et nous n’y voyons pour notre part aucun inconvénient), ne faut-il pas aller jusqu’au bout de sa pensée, et s’interdire tout emprunt à une conception différente de l’ensemble des choses ? On ne voit pas très bien comment M. Dauriac, en continuant de refuser à ses monades des portes, peut leur accorder des fenêtres. Ce n’est pas sans raison que Leibnitz leur interdisait toute ouverture de ce genre. D’abord, en effet, si certains phénomènes agissent sur d’autres, ou sur des collections d’autres phénomènes, on les conçoit comme des forces, c’est-à-dire comme autre chose que de simples phénomènes. Leibnitz aurait pu attribuer à ses monades une telle action, mais non pas M. Dauriac. En outre, parler de fenêtres, ou, en d’autres termes, d’action extérieure, c’est admettre la réalité du dehors, de l’étendue, que cependant on nie. Leibnitz seul est conséquent avec son principe quand il nous représente l’action des monades les unes sur les autres comme « toute idéale ». Il est vrai que cette action idéale s’exerce dans l’entendement divin. Si on écarte ce dernier point de vue, il faut’, pour rester phénoméniste, se contenter de constater des changements corrélatifs, des fonctions : en d’autres termes, l’idée d’harmonie (préétablie ou non) remplacera l’idée d’action transitive. Et si l’on parle de l’action des êtres les uns sur les autres, il faudra bien savoir qu’il s’agit d’une relation toute idéale sans rien de commun avec ce que nous sommes habitués à appeler cause, à moins qu’on ne définisse la causalité elle-même une relation de ce genre.
Ce n’est pas tout. M. Dauriac insiste avec raison sur cette formule : Pas de phénomènes sans lois ; et réciproquement les lois n’existent que dans et par les phénomènes. Mais à une doctrine qui fait aussi large la part des lois, qui n’admet les phénomènes que soumis à des lois, embrigadés en quelque sorte, contenus et dirigés par elles, est-ce bien le nom de phénoménisme qui convient le mieux ? Ce nom semble revenir de droit à une doctrine qui n’admettrait que de purs phénomènes, disséminés et sans ordre. Si on donne le nom de phénoménisme à la doctrine de M. Dauriac, comment appellera-t-on celle de Hume qui n’admet aussi que des phénomènes, avec des lois il est vrai, mais empiriques et contingentes, réduites en quelque sorte au minimum, et soumises aux phénomènes, plutôt que les phénomènes n’y sont subordonnés ? Je sais bien que ces lois elles-mêmes, dans le phénoménisme tel que l’entend notre auteur, sont considérées comme des phénomènes ; il n’y a pas de différence de nature entre elles et les phénomènes qu’elles relient ; elles ne sont pas éternelles et nécessaires comme la substance. Mais les substances secondes de la métaphysique cartésienne n’étaient pas non plus