éternelles : elles ne différaient pas autant qu’on pourrait le croire de leurs propres modalités. En tout cas, dans le phénoménisme, si les lois ne sont que des phénomènes, elles sont d’un autre ordre, tout au moins elles ne sont pas connues de la même façon que les faits qu’elles enchaînent : et si petite qu’on veuille faire la différence, il faut qu’elle soit toujours assez grande pour qu’on puisse comprendre que les uns soient passagers, tandis que les autres sont stables. Il faudrait prendre garde de parler, tantôt comme si on n’admettait que de simples phénomènes, au sens vulgaire du mot, tantôt comme si on faisait passer sous cette rubrique autre chose que ce qu’elle désigne naturellement : il faudrait éviter toute équivoque.
Enfin il est regrettable que M. Dauriac ne se soit pas expliqué plus nettement sur la nature de l’être, tel qu’il le conçoit. Est-il vraiment équitable, quand on a été si prodigue d’arguments dans la critique de l’idée de substance, de se montrer si parcimonieux lorsque il s’agit de formuler ses propres idées ? Après tant de chapitres consacrés à détruire, nous n’avons plus que quelques pages quand il faut remplacer ce qui n’est plus. Le titre même de son livre engageait M. Dauriac à nous donner plus qu’une ébauche. Nous avons le droit de lui demander un complément de discussion.
M. Dauriac le sent bien : c’est une chose fort abstraite que la loi, et on ne voit pas du premier coup comment elle peut rendre compte de l’individualité, et surtout de l’identité personnelle. Il semble bien que le moi soit ce que chacun de nous peut connaître de plus concret, de plus individuel, de plus irréductible. On vient nous dire que ce moi est une loi, soit ; mais il faut s’expliquer. Cette formule : l’être est une loi individuelle, peut s’entendre de plusieurs manières. Faut-il concevoir la loi individuelle comme un cas particulier, une application d’une loi générale, les divers éléments dont cette loi règle le rapport variant seulement entre eux dans des limites définies, en fonction les uns des autres, de telle sorte qu’il n’y ait rien de plus, rien d’autre surtout, dans la loi individuelle que dans la loi générale, l’individualité résultant uniquement de la variabilité des fonctions ? Ou bien doit-on se représenter la loi individuelle comme réellement distincte d’un être à un autre, n’ayant sans doute rien de contraire à la loi générale qui enveloppe les êtres d’un même genre, distincte cependant de telle loi et irréductible à elle ? Le moi par exemple serait un genre (ou une loi), le genre des états miens ; et ce genre serait autre pour chaque individu humain. Au lieu d’embrasser, comme les genres ordinaires, les ressemblances communes à plusieurs individus, il embrasserait seulement les ressemblances des états propres à un seul individu ; il fixerait des ressemblances dans le temps au lieu d’envelopper des ressemblances dans l’espace. Il y a là, si nous ne nous trompons, deux conceptions distinctes, entre lesquelles il est nécessaire de choisir, et qui toutes deux présentent des difficultés. Si on s’arrête à la première, on n’échappera guère au reproche de faire de l’individu quelque chose de bien abstrait :