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ROBERTY.l’évolution de la philosophie

phie sur le développement des sciences, et j’ai fait voir combien cette influence a été exagérée par suite et au profit de l’illusion qui nous montre dans la philosophie une des sources actives du savoir exact. L’erreur qui consiste à faire dépendre les progrès réels des sciences du résultat final de ces progrès, ou qui voit dans la conclusion la cause productrice des prémisses, est certainement très intéressante à étudier ; mais elle s’explique facilement si l’on considère que les illusions s’accompagnent et s’associent entre elles aussi bien que les perceptions justes et les jugements vrais. Ainsi, dans les deux cas rappelés par M. Taine, une crise intime, un mouvement trop profond pour être aperçu par l’observateur superficiel, se produisit d’abord au sein des sciences particulières ; mais avant de porter ses fruits, si longs à mûrir, ce mouvement détermina un mouvement strictement corrélatif dans la pseudo-philosophie dominante. C’est cette répercussion naturelle que les historiens philosophes prennent pour un ébranlement initial ou générateur.

La philosophie qui naîtra à la suite des progrès de la psychologie et de la sociologie formera un contraste frappant avec toutes les formes connues de la métaphysique ; mais cela ne l’empêchera pas de poursuivre le même but, d’avoir le même objet que celle-ci. Elle sera également une conception du monde, et elle continuera à être régie par la loi de corrélation qui explique le caractère et les destinées de sa devancière. Il n’en faut pas plus pour accréditer la croyance, qu’au point de vue de l’évolution totale de l’intelligence humaine, la philosophie future ne sera qu’une simple suite, qu’une transformation insensible et naturelle de la théologie et de la métaphysique.

Mais c’est précisément cette croyance qui soulève les plus graves objections. Pour pouvoir l’admettre, sinon même pour pouvoir la discuter, il faudrait que le terme « transformation » n’eût plus le sens vague qui permet encore aujourd’hui de parler couramment de la transformation de l’erreur en vérité, et, en général, d’une chose quelconque en son contraire. Il faudrait, pour tout dire, que ce terme fût pris dans la signification concrète que lui donnent les sciences exactes qui en font un usage journalier, et non dans le sens purement logique et abstrait employé par la philosophie et les demi-sciences qui gravitent autour d’elle. En fait, l’humanité a vécu jusqu’ici sur toutes sortes de surrogats philosophiques dont la chaîne non interrompue, — si longue qu’elle en semble interminable, — a débuté par le fétichisme et s’est arrêtée aujourd’hui à l’agnosticisme. Est-ce là son dernier terme ? Nul ne peut le dire avec certitude. Ce qui, en revanche, paraît indubitable, c’est que la philoso-