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phie du siècle a toujours méconnu, dans cette question, l’état réel des choses. Criticistes, positivistes et évolutionnistes, usant d’un droit strict, se sont à l’envi efforcés de créer une nouvelle et meilleure philosophie sur les ruines présumées de l’ancienne. Mais ils outrepassèrent bientôt leur droit, en donnant aux faits les mieux connus de l’évolution intellectuelle une interprétation hautement tendancieuse. Ils devinrent victimes d’une illusion, en somme, très naturelle ; ils crurent, en toute sincérité, avoir rompu définitivement avec le passé et inauguré une ère nouvelle. La philosophie scientifique était fondée ; une ligne de démarcation bien nette la séparait de la métaphysique ; et tous les arguments étaient bons qui élargissaient encore cette zone protectrice, qui prouvaient son efficacité, sinon sa réalité, en tenant compte toutefois des nécessités historiques en vertu desquelles, « l’entendement humain, contraint à ne marcher que par degrés insensibles, ne pouvait passer brusquement à la philosophie scientifique[1] ». — Car c’est là encore un trait qui caractérise la philosophie du siècle et qui lui fait le plus grand honneur : elle entendait bien passer pour la vraie philosophie de l’avenir, mais à charge de prouver que la théologie et la métaphysique avaient été une préparation indispensable, autant d’étapes ou de phases évolutives sans laquelle elle-même n’aurait pu apparaître.

Auguste Comte fut un des premiers à faire valoir ce point de vue, auquel les néo-criticistes et les évolutionnistes devaient donner plus tard des développements intéressants. Mais il fut aussi le premier à tomber à ce propos dans une téléologie sociologique qui ne le cède en rien à l’ancienne finalité métaphysique.

Les idées de Comte sur le rôle intermédiaire et l’utilité de la métaphysique sont, à cet égard, des plus instructives ; on voudra donc bien permettre que nous les examinions avec attention.

Comte voit dans la subtilisation croissante des agents surnaturels l’attribut dominant des idées métaphysiques, le trait qui explique leur nature de « conceptions intermédiaires, d’un caractère bâtard, propres à opérer la transition » entre l’antique théologie et la nouvelle doctrine scientifique. — « Ce n’est, dit-il, qu’en substituant, dans l’étude des phénomènes, à l’action surnaturelle directrice une entité correspondante et inséparable, que l’homme s’est habitué à ne considérer que les faits eux-mêmes. Les notions de ces agents métaphysiques ont été peu à peu subtilisées au point de n’être plus que les noms abstraits des phénomènes. » — Ainsi, c’est la métaphysique, c’est son verbalisme abstrait succédant à la tautologie

  1. Comte, Cours, résumé par Rig., I, p. 5.