Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/263

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
253
ROBERTY.l’évolution de la philosophie

pas de révolution industrielle ; celle-ci n’est pas la source qui fait surgir les idées esthétiques ; l’évolution industrielle obéit à ces idées, elle prend et exécute leurs ordres, elle ne les dirige pas ; cela est si vrai qu’un art industriel est toujours déjà un art décadent.

Enfin, l’évolution des connaissances ou des conceptions techniques est entièrement dominée et conditionnée par les trois évolutions précédentes. C’est notre savoir théorique, ce sont nos conceptions religieuses et philosophiques, c’est enfin notre art et nos conceptions esthétiques qui donnent naissance aux besoins innombrables que notre activité pratique, notre travail ou notre industrie s’applique à satisfaire. Cela est de toute évidence ; mais il est intéressant de remarquer que ce n’est guère qu’à propos des liens si grossièrement manifestes qui unissent l’industrie humaine au développement des sciences, qu’on a bien voulu concéder quelquefois aux idées scientifiques une action directe et prépondérante sur l’ensemble de l’évolution sociale.

Résumons-nous. L’évolution des idées scientifiques agit sur les diverses parties de l’évolution sociale d’une façon immédiate et toujours très puissante ; mais parallèlement à l’action directe, se déroule une action médiate qui a pour agents les conceptions philosophiques, les conceptions esthétiques et les conceptions techniques, c’est-à-dire autant de modifications, de résultats ou de produits des idées scientifiques elles-mêmes. Une loi de corrélation constante unit ces effets variés à la cause primordiale qui non seulement leur donne naissance, mais les utilise ensuite comme des moyens d’action, comme des chaînons intermédiaires qui s’interposent naturellement entre elle et une suite d’effets plus éloignés. Nous avons formulé ce rapport fondamental pour les deux premiers membres de la série intellectuelle, la science et la philosophie ; mais il est à peu près certain qu’une loi analogue régit l’ensemble de l’évolution intellectuelle.

Derrière toute philosophie se cache un savoir strictement corrélatif, un savoir dont les imperfections, les lacunes, les lois à peine entrevues sont précisément ce qui fait de la philosophie une métaphysique ou une théologie. Et derrière toute esthétique se cache une philosophie (à l’état de religion, de métaphysique, de conception du monde aspirant à devenir scientifique) avec la somme entière de savoir que cette philosophie comporte et suppose. Enfin, derrière toute industrie humaine se cachent une esthétique, une philosophie et une science corrélatives, c’est-à-dire autant de sources vives qui font jaillir et alimentent le travail, les efforts individuels et collectifs.