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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/264

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Mais si cela est vrai, la loi des trois états est une conception fausse quand on l’applique à l’évolution scientifique, et une conception d’une importance très relative et très secondaire, quand on l’applique à l’évolution philosophique elle-même, ou aux deux évolutions qui lui sont subordonnées. Je ne veux pas insister plus longtemps sur ce point, que je crois avoir suffisamment élucidé dans mon livre sur l’Ancienne et la Nouvelle Philosophie[1].

Je veux cependant dire quelques mots de l’illusion qui nous pousse continuellement à prendre l’apparence pour la réalité, et l’effet qu’on voit pour la cause qu’on ne voit pas.

Les religions ont joué un rôle immense dans l’histoire ; elles ont plusieurs fois changé la face du monde, et les civilisations actuelles sont leur résultat et leur produit immédiat. Mais pour juger à quel point ces phrases sont creuses, il suffit de poser la question : Qu’est-ce qu’une religion ? — non pas au point de vue de nos ancêtres qui, assurément, étaient fort peu qualifiés pour y répondre, mais à notre point de vue moderne, assistés, comme nous le sommes, de toutes sortes de connaissances scientifiques, historiques et exégétiques. À cette question, une seule réponse est actuellement possible : Une religion est toujours une ignorance de la véritable unité, de la véritable synthèse universelle des choses, ignorance qui, de grossière et de répugnante à son premier degré, va s’affinant et se subtilisant sans cesse, enrayant de moins en moins les forces vives qui travaillent sourdement à la faire disparaître, et permettant, en conséquence, à l’œuvre sociale de se poursuivre, aux évolutions transformatives de s’accomplir. Pourquoi continuerions-nous donc à employer cette phraséologie qui, quand elle ne sert pas à obséder l’esprit par les plus étranges filiations, est vide de tout sens et n’a plus de valeur même en poésie ; cette phraséologie qui consiste à faire sortir avec la Bible, la lumière des ténèbres, avec quelques moralistes bien intentionnés, la vérité du mensonge ou de l’erreur, avec les philosophes ioniens, le chaud du froid et le sec de l’humide, et avec les historiens modernes, la culture intellectuelle que nous possédons des croyances religieuses que nous n’avons plus ou que nous n’avons guère ? Le sophisme classique du post hoc, ergo propter hoc pourrait, croyons-nous, nous être épargné, au moins sur une échelle aussi vaste.

La formule de Comte se ressent non seulement de cette phraséologie oiseuse et abusive, mais encore d’une autre erreur qui, bien qu’étant opposée, au fond, au sophisme dont nous venons de faire

  1. Voy. partie II, chap.  ii, iii et iv.